Le continent observe avec attention les débats autour d’un possible levé des brevets sur les vaccins contre le coronavirus.
A l’heure où l’Europe s’est dite « prête à discuter » d’une levée des brevets sur les vaccins anti-Covid envisagée par Washington, sujet qui s’invitera au sommet des 27 à Porto vendredi, que peut espérer le continent africain, dont les pays dépendent majoritairement du mécanisme de solidarité Covax ? Et ce, dans un contexte où l’écart entre le nombre de vaccins administrés dans les pays riches et dans les pays pauvres se creuse, au grand regret du directeur général de l’Organisation mondiale de la santé. « Si nous ne levons pas aujourd’hui les droits sur les brevets, alors dans quelle autre circonstance le ferons-nous ? », avertissait-il.
L’inégalité de l’accès aux vaccins en Afrique
En tout cas, il faut souligner que si l’Afrique n’attend pas tout de la levée des droits sur les brevets, elle espère en tirer quelques avantages pour mieux se préparer à l’avenir.
L’Afrique du Sud, pays qui comptabilise le plus de cas de personnes contaminées et décédées du coronavirus sur le continent, plaide depuis des mois aux côtés de l’Inde au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dirigée par la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, pour une levée temporaire des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins, afin d’accélérer la production, mais certains pays, dont la France, y étaient farouchement opposés.
L’Afrique est pourtant dans l’impasse. De nombreux pays africains dépendent des livraisons de vaccins AstraZeneca produits en Inde, notamment par le Serum Institute of India, et distribués dans le cadre du programme Covax , qui vise à fournir un accès équitable en particulier aux pays les plus pauvres. Mais l’Inde a annoncé fin mars qu’elle allait retarder ses exportations pour lutter contre une nouvelle vague de contaminations. « Nous sommes dans une impasse en tant que continent », alertait mi-avril le Dr John Nkengasong, le directeur pour l’Afrique des Centres de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC) lors d’une conférence de presse. « L’accès aux vaccins a été limité pour nous en tant que continent et cela affecte la manière dont nous déployons notre programme de vaccination ». « Nous avons aujourd’hui un outil très puissant : le vaccin, cela nous permettra de sauver des vies et de rouvrir nos économies », avait également plaidé Richard Mihigo, coordonnateur du programme des maladies évitables par la vaccination pour l’OMS Afrique. Les autorités de santé africaines espèrent vacciner au moins 20 % des plus d’un milliard d’habitants d’ici la fin de l’année.
AstraZeneca est un vaccin à deux injections, mais « nous ne pouvons pas prédire quand les deuxièmes doses arriveront », indiquait cet expert.
L’Union africaine tente d’acquérir des vaccins de manière bilatérale, hors du programme Covax. Johnson & Johnson a annoncé en mars qu’il rendrait disponible pour l’Afrique jusqu’à 400 millions de doses de son vaccin à une injection, mais les premières livraisons ne devraient pas intervenir avant le troisième trimestre 2021.
Washington met son poids dans la balance
Mais la donne pourrait bientôt changer, alors que plus tôt cette semaine, les États-Unis ont créé la surprise mercredi en annonçant qu’ils étaient en faveur d’une suspension temporaire des brevets qui protègent les vaccins, après s’y être fermement opposés dans la lignée de l’industrie pharmaceutique. « L’administration croit fermement aux protections de la propriété intellectuelle, mais pour mettre fin à cette pandémie, elle soutient la levée de ces protections pour les vaccins contre le Covid-19 », a justifié Katherine Tai, la représentante américaine au Commerce, dans un communiqué, précisant que Washington participait « activement » aux négociations menées en ce sens à l’OMC. Un soutien de poids alors qu’aucune décision n’est prise au sein de l’organisation internationale sans consensus des 196 pays membres.
Il faut savoir que les partisans de la levée des brevets estiment que cette suspension permettra d’accroître la production de vaccins pour réduire l’iniquité vaccinale, qui voit actuellement les pays riches tenter d’immuniser 70 % de leur population dans les mois qui viennent alors que les pays pauvres n’ont pu protéger qu’une toute petite portion de leurs populations les plus à risque a-t-il indiqué.
La directrice régionale pour l’Afrique de l’OMS, Matshidiso Moeti, a de son côté salué l’annonce américaine comme un « changement de donne » pour le continent. « Nous saluons le leadership dont font preuve l’Afrique du Sud, l’Inde et les États-Unis, et nous exhortons les autres à les soutenir », a déclaré Mme Moeti à la presse.
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