Dans cet entretien accordé à notre rédaction, l’ancien ministre, PDG et vice-président délégué Patronat, Elhadj Moussa Sidibé, est revenu sur le coup d’Etat en Guinée. Connu pour son franc-parler, notre interlocuteur dit tout haut ce que les autres pensent tout bas. Lisez !

Billetdujour.com : Depuis dimanche, 05 septembre , le pouvoir a changé de main. Peut-on avoir vos impressions ?

Elhadj Mansa Moussa Sidibé : Effectivement, c’est avec une très grande surprise à 6h du matin que je me suis rendu compte qu’il y avait des problèmes dans la capitale guinéenne. J’ai reçu cette nouvelle à travers ma secrétaire qui loge à côté du camp Samory. Elle m’a dit, Papa, ça ne va pas, Conakry est en feu depuis 4h du matin. J’ai dit ah bon ?  il y a des coups de feu ? Elle a répondu par l’affirmation. Aussitôt, j’ai dit de rester à la maison et que je vais faire autant.

A domicile, on attendait les informations, parce que les coups de feu de ce genre, ça peut être une revendication d’un groupe liée aux salaires ou ravitaillements des militaires, j’en sais quelque chose.  Sincèrement, il ne m’est pas venu en tête,  qu’il s’agissait du coup d’Etat.

Dans un premier temps, je me suis dit, ça, c’est dangereux. Est-ce que ce n’est pas organisé par le président lui-même ? Parce que je ne voyais personne qui pourrait renverser  le pouvoir ni dans l’armée, ni ailleurs.  Ça été franchement, une grande surprise pour moi.  Personne ne pouvait penser à cela pour le président. L’armée, c’est pour lui : les militaires, la police, j’ai dit encore, ce n’est pas possible. Mais, j’ai toujours dit une chose : « Aucun homme n’a la possibilité de faire ce qu’il veut, quand il veut, comme il veut et où il veut », cela n’est donné à aucun homme dans notre existence. Le pouvoir n’appartient qu’à Dieu, le seul, notre Créateur. Et, ce que j’ai toujours cité comme preuve, c’est le coronavirus. Personne ne pensait que les Etats-Unis, la Chine, le Japon, toutes ces puissances allaient se plier à une maladie comme la Covid-19. Mais Dieu l’a voulu comme ça et tout le monde s’est plié et jusqu’à présent personne ne peut dire voici le remède de la COVID-19.

Le même dimanche, quelques heures après, les putschistes ont mis sur les réseaux sociaux des images du chef de l’Etat arrêté. Qu’est-ce que ça vous a fait ?

Une fois de plus, je dis, personne ne s’attendait à cela en ce moment.

C’est à partir du soir,  que les journalistes et ceux d’Espace TV ont pu parler des évènements du jour,  Espace TV seul, a eu le courage de prendre en main ce qui se disait, toute la matinée. J’étais assis, je ne bougeais pas.  J’ai mis beaucoup de radios en marche pour voir ce que nos différentes stations, télévisions allaient dire, mais c’est seulement avec Espace TV qu’on a pu entendre quelques choses. Et quand, j’ai vu la photo, j’ai demandé si c’était le président Condé, on m’a dit oui. C’est en ce moment que j’ai senti que le coup d’Etat est réel. Et qu’est-ce que ça m’a dit, j’ai dit oui, malheureusement, il n’a pas suivi les conseils.

Vous l’aviez conseillé ?

Oui j’ai donné des conseils depuis 2010 avant même les élections.

Quand est-ce que vous lui avez conseillé pour la dernière fois ?

Il y a juste un mois, quand je suis parti tout dernièrement à Paris pour mon contrôle médical.

Je n’ai pas partagé le même avis que lui. Pourtant, j’avais dit que je ne voulais pas de fonction, au regard de mon âge et les responsabilités que j’ai toujours assumées, je suis membre des CA, (Conseil d’administration) de plusieurs structures, mais je voulais aider le pays, parce que j’ai vu qu’il a fait qu’à même des choses qui n’existaient pas. Si je peux rappeler un peu l’histoire peut être que ça vous arrangerait.

Vous savez, le projet Souapiti-Amaria était déjà là, avant que les Colons ne partent, mais quand nous avons eu l’indépendance, ils sont partis avec ce projet.

Quand feu Ahmed Sékou Touré a pris le pouvoir, il a dit pourtant, nous ne pouvons pas aller sans énergie, ainsi il a créé un Ministère de l’Energie et du Konkouré, et il l’avait mis un  homme puissant à l’époque, N’Fanmara Kéïta comme ministre. Ils n’ont pas réussi, l’impérialisme ne lui a pas donné l’occasion. Jusqu’à sa mort, il n’a pas pu donner au pays l’énergie qu’il voulait.

Quand il est mort, le Général Lansana Conté, lui aussi convaincu qu’il faut de l’énergie, pour développer une nation, il a dit, on va construire Garafiri, il a fait presque le tour du monde pour trouver de financement pour Garafiri, il n’a pas pu. Seule la  Banque africaine de développement, BAD et la population guinéenne qui ont financé Garafiri, mais ce barrage  n’avait que 75 mégawatts. Ce n’est rien pour le développement de notre pays.

Le professeur Alpha est venu en 2011,  il a fait d’abord Kaleta avec 250 mégawatts, nous ne savons pas comment, il s’est débrouillé mais on n’a pas payé, comme on a fait pour Garafiri. Nous sommes en train de finir Souapiti-Amaria pour 450 mégawatts, ça, ce sont des choses qu’il a réussies.

Et je m’en vais vous dire, lorsque le Général Lansana Conté a pris le pouvoir, on a dit, vous avez fait l’ouverture totale, c’est une bonne chose, mais il faut que l’ouverture trouve une certaine structure, des lois comme au temps de la révolution. C’est en ce moment qu’on a décidé de créer le PIRN : Programme intérimaire de redressement national. Mais pour ça, il fallait vraiment que nous nous associons à des expertises internationales afin de pouvoir bien réaliser ce programme : la Banque mondiale, le Fonds monétaire, l’Union européenne, le PNUD, ont envoyé des experts, mais ils logeaient où ?  A Dakar, (Sénégal). C’est là-bas qu’ils quittaient pour venir travailler en Guinée parce qu’il n’y avait pas d’hôtels. Le Novotel était en réfection. Aujourd’hui, qui peut dire en Guinée qu’il n’y a rien, sur le plan hôtelier ?  Personne.

Mais tu ne peux pas diriger un peuple sans appliquer les principes du droit, c’est ce qui a manqué au Pr Alpha Condé et on le lui a dit. Les Guinéens se rappelleront, de vive voix, ce qui lui été dit.

Un exemple, un des  fils du feu Sékou Manton Camara, le lui a dit en pleurant, président, nous voulons que vous appliquiez la loi, et ça, c’était à l’occasion des réunions que nous avions eues avec lui.

 Si aujourd’hui, la situation est devenue comme ça, le Troisième mandat ne devrait pas être obtenu, le Troisième mandat n’est pas bien. Seul  le peuple guinéen pouvait décider d’un mandat qui permettrait  de finir les projets entamés.  Parce que c’est vrai, dans les mines, nous sommes partis de 13 millions de tonnes par an à 80 millions de tonnes.  

Le lundi devant les dignitaires du régime déchu, le nouvel homme fort du pays, le Colonel Doumbouya a dit. ‘’ Le peuple de Guinée a souffert sur le comportement peu honorable de ses élites’’. Qu’en dites-vous ?

Il a raison, c’est tout ça que je viens d’évoquer plus haut. Le Colonel Mamady Doumbouya a raison, on a souffert. Nous avons accepté beaucoup de choses. Si on a gagné beaucoup de choses, mais on a aussi perdu beaucoup. Et tout ce qu’on a perdu, c’est parce que simplement, on n’a pas su appliquer les principes du droit. Aucune nation ne peut se développer sans la loi, sans le respect des ses principes mise en place.

Si vous avez l’opportunité pour exprimer vos suggestions au chef de la junte, quel serait le message ?

Que la loi soit là, et qu’on l’applique,  qu’on se respecte et qu’on se dise la vérité.

Que la junte se rappelle toujours qu’il appartient au peuple de décider. Il n’appartient pas aux hommes d’imposer au peuple le changement de leurs conditions, de leur existence, de leurs principes.

Pour ce coup d’Etat, nous estimons qu’ils l’ont fait dans l’intérêt du peuple. Ils ont réussi. Pensons à ce qui vient de se faire ? C’est une petite minorité des militaires guinéens par rapport à notre armée qui a réussi ce coup. Chez nous, comme chez les militaires, les fonctionnaires, tout le monde était conscient que la situation que nous vivions n’était pas bonne. Donc tout ce que nous pouvons faire quel que soit la position de l’individu guinéen aujourd’hui, c’est d’accompagner la junte pour qu’elle puisse  nous aider.

Nous sommes riches, écoutez le journaliste Alain Foka, ce qu’il dit de la Guinée par rapport à ses richesses, ce qu’il dit de l’Afrique par rapport à ses richesses.

Mettons ensemble nos efforts, nos réflexions, nos volontés pour  profiter de nos richesses  et on ne peut le faire qu’en suivant les principes du droit, en se disant la vérité, en s’acceptant les uns les autres.

Avez-vous un message particulier à l’endroit des politiques. Parce qu’ils s’en pressent toujours pour les élections ?

Ceux qui ont pris le pouvoir, ils ont déjà dit leur intention.  Ce n’est pas d’aller à la politique mais c’est de rétablir l’ordre social et démocratique dans le pays. Quand ils auront fini, ils donneront l’occasion aux politiciens d’aller aux élections.  En attendant, il faut que les politiciens sachent qu’il ne faut pas faire la politique pour sa propre personne. Il faut faire la politique pour son peuple. Il faudrait que maintenant, les politiciens qui vont agir pour la Guinée agissent pour la Guinée et non pour leurs comptes eux-mêmes.

Quelle est votre appréciation par rapport à la libération des prisonniers politiques, au démantèlement des PA, (Postes Avancés) sur la route Le Prince ?

Ceux qui étaient en prison, étaient là-bas pourquoi ? Parce que la loi n’a pas marché, ils sont enfermés et sans jugement. Il y avait plein de gens qui ont été embêtés. Et si vous avez suivi le discours du Colonel, il a dit, qu’il n’y a plus de pagaille dans le droit, la loi va s’appliquer. Aucun peuple, aucun pays ne peut vivre sans loi, ce n’est pas possible. Même dans ta propre famille, si tu laisses chacun faire ce qu’il veut, qu’est-ce qui arrive ?  Madame fera ce qu’elle veut, les enfants feront ce qu’ils veulent et toi-même, tu feras ce que tu veux.  Si nous acceptons de respecter les principes du droit, nous serons un pays riche et fort.

 Entretien réalisé : Mouctar Kalan Diallo & Richard Tamoné