La vie politique s’appauvrit en Afrique. Le personnel vieillit. Le débat se tribalise. Les Constitutions partent en lambeaux. Autant de portes ouvertes pour le djihadisme qui avance.
Mais pour notre plus grand bonheur, le vocabulaire politique s’enrichit. À Abidjan et à Conakry, où les mots fleurissent dans les rues, les bordels, les académies de bière et non sous la Coupole, on dit «dès que dès que» ou «kaba-kaba» en lieu et place du mot investiture. Les personnalités de ce monde ne se convient pas pour tenir un tête-à-tête mais pour «se têter». S’éterniser au pouvoir s’appelle faire du «koudaïsme» et ce satané troisième mandat qui fait tant jaser, «la pénible rallonge du té mouna yé mouna («pas d’eau, pas d’électricité» en langue soussou)». Cette fête des mots version tropicale bat son plein jusque sous les lambris des palais.
«Coup K.-O.» pour la démocratie
Alpha Condé, Alassane Ouattara et les autres ne disent plus «victoire au 1er tour» mais «premier coup K.-O.». Par les matraques ou par les urnes, chez nous, la course électorale reste avant tout un combat de gladiateurs où tous les coups sont permis. Nos démocrates à nous se gaussent des principes et des règles. Ils sont là pour gagner et ils gagneront coûte que coûte. Le public et l’arbitre n’ont qu’à se le tenir pour dit.
Ces petits malins savent que les mots ne sont jamais que des mots ; que la démocratie n’a rien de sacré. Ses textes ne sont que des chiffons de papier que l’on brûle ou rature selon son gré. Rien pour les retenir ! Ces ronds-de-cuir de la Communauté Internationale bougonneront pour la forme et les émeutiers des bas-quartiers retourneront dans leurs bouges aux premiers cliquetis de mitraillettes.
Si la démocratie est toujours à l’ordre du jour, pour l’instant, l’engagement politique ne porte ni sur les idées ni sur les projets, c’est juste pour la galette du pouvoir. La galette du pouvoir, rien que la galette du pouvoir, quitte à heurter la morale et la loi ! Opposer les ethnies et falsifier les fondements juridiques ne suffit pas pour s’accaparer la miraculeuse friandise. Il faut aussi juguler la Commission électorale, la Cour constitutionnelle et toutes les autres machines à tricher. Muni de cet arsenal, plus personne ne peut vous tenir tête. Vous pouvez chausser votre gant et asséner le premier coup K.-O.
Le même scénario qui se répète
«On n’organise pas des élections pour les perdre», disait ce vieux renard d’Omar Bongo, qui est mort sur le «trône» du Gabon après 42 ans de premiers coups K.-O. Le parti unique n’est plus, mais le rituel culte du chef est toujours là. Le chef ne cède pas, le chef ne se résigne pas. Il est sans égal, sans devancier et sans successeur. Pour lui, impossible d’accepter une défaite, fût-ce celle des urnes! Ne lui parlez surtout pas d’alternance! Laisser la place à un autre, c’est montrer qu’«on n’est pas garçon» comme on le dit dans le langage pittoresque des faubourgs d’Abidjan. Et puis, il est pressé, notre chef. Le second tour, c’est trop long. Il veut tout de suite le premier coup K.-O.
Seulement, le vent commence à tourner. En Guinée, après avoir subi deux défaites controversées, Cellou Dalein Diallo vient de se déclarer vainqueur à l’issue du premier tour de la présidentielle. Une manière pour lui de détourner à son profit la technique du premier coup K.-O.
De toute façon, par les matraques ou par les urnes, pour le «populo», c’est K.-O. à tous les coups.
Tierno Monénemb