L’ingénieur, le politique, a bien voulu nous accorder une interview. À bâtons rompus, Mohamed Mansour Kaba est revenu sur nos préoccupations liées au processus de décolonisation de la République de Guinée. Mais d’entrée de jeu, l’homme des travaux publics est revenu sur ce qui a bercé son enfance.  

Billetdujour.com: Bonjour monsieur, pour nos lecteurs, présentez-vous?

Je suis Mohamed Mansour Kaba,  né à Kankan en janvier 1940. J’ai fait toute ma formation de base dans cette ville religieuse, ville commerçante. J’ai fait l’école coranique à Camaralah, chez les camara à Kankan. Parce que l’usage est que, quand votre père est maître coranique, on ne vous enseigne pas chez votre père. On vous envoie dans une autre école coranique. C’est comme ça que moi, j’ai étudié chez les camara à Kankan à Camaralah. Mon maître coranique était monsieur Mory Kéïta. À l’âge de 8 ans, j’ai fini la lecture du saint Coran. Et c’est à l’âge de 8 ans, que je suis rentré à l’école primaire. Nous sommes les premiers élèves de l’école Kabala, c’est la première école, primaire  public du quartier. Il y avait une très grande école qu’on appelle école régionale, c’est-à-dire tous les enfants de la région de Kankan qui venaient là-bas. Et vous avez dans cette école 3 CP 1, 3 CP 2, 3 CM 1, 3 CM2…. plus une école de jeunes filles, ce qui fait que toutes les classes étaient 3. Malgré tout ça, à l’examen du Certificat d’études primaires de 1953, j’ai été le premier de l’académie de Kankan. Ce qui fait que mon maître à dit nous n’avons pas la quantité, nous avons la qualité (Rire). Et de notre classe, nous étions seulement deux admis au concours d’entrée en 6ème à Conakry. Ce que vous devez savoir et c’est important pour les autres. C’est que dans les années 1950, au moment où j’arrivais au collège technique d’industrie à Conakry, il n’y a dans tous les territoires de la Guinée française un collège technique, un collège moderne, un collège classique à Conakry. Il y avait deux ou trois cours normaux pour la formation des enseignants, des instructeurs et à ce concours donc, venaient les meilleurs de la Guinée. Dans ma classe, vous avez Abdourahamane Camara qui venait de Boké, Mamadou Cellou Diallo qui venait de Labé, frère de Siradio Diallo, vous avez moi de Kankan, Karikan Doumbouya de Siguiri, vous voyez toute la Guinée se retrouvait dans la même classe. Et cette année en fait, la France ayant perdu Indochine. Vous avez entendu parler de la bataille de Diên Biên Phu et la France avait mis son dévolu à la Guinée. 1, pour que la Guinée soit le grenier à riz de l’Union française, parce que c’est l’Indochine qui le faisait avant; 2, la Guinée devrait-être aussi un pays du retrait de la France, pour l’industrie aéronautique en cas de guerre encore. Tout ça, parce que ce qu’on ne sait toujours pas, c’est que les blancs ne vivent que par la guerre. Si vous voyez l’histoire de l’Europe, il n’y a eu que des guerres rien que des guerres. Et les deux dernières ont été que des guerres mondiales. Sinon entre eux, ils se sont fait la guerre. Vous avez entendu parler la guerre de 100 ans, la guerre de 30 ans, les guerres de religions. Le blanc ne connait que ça, le rapport de force. Je suis plus fort que je t’occupe, je fais de toi ce que je veux. Si vous voyez les films de la manière dont l’Allemagne a occupé la France, ça c’est maintenant, parce que nous étions déjà né. Ce n’est pas hier ou avant hier, ça c’est notre époque. Si vous voyez ce que les allemands ont fait sur les Français, vous n’allez pas vous étonnez de ce que les français ont fait chez nous. Parce que c’est leur habitude. On parle des droits humains, mais ils sont les premiers violeurs de droits humains: l’esclavage, la colonisation, la neo-colonisation. Les blancs sont comme ça, ils ne peuvent pas vivre sans la guerre. Alors donc, nous avons fait le collège technique ici (Conakry) après 4 ans, on a fait le concours d’entrée et là aussi il n’y avait que deux écoles pour toutes l’Afrique occidentale française (AOF) c’est-à-dire les 8 territoires de la France en Afrique de l’ouest, la Mauritanie, Sénégal, le Soudan français qui est devenu le Mali après, le Burkina Faso qui était la Haute Volta, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Dahomey, aujourd’hui, Bénin, le Niger, et puis le Togo, qui était une colonie allemande, mais après la deuxième guerre mondiale, les pouvoirs qui ont gagné se sont partagés les colonies allemandes entre eux: la France et la Grande Bretagne. Le Togo a été coupé en deux, la moitié qui a été occupée par l’Angleterre a été inféodé au Ghana, l’autre moitié est restée Togo, c’est pour cela que quand vous allez à Lomé, la frontière entre le Ghana et le Togo, passe en plein milieu de la ville, (Rire). Vous imaginez, c’est comme si vous allez à Kindia, la ville coupée en deux, une partie c’est tel pays, l’autre tel autre pays. Alors donc, il n’y a que deux écoles, le lycée Maury de la Force à Dakar qui faisait le lycée classique où on préparait le baccalauréat et l’école des travaux publics de Bamako où on préparait les adjoints techniques des travaux publics et les géomètres. Nous devrions êtres des auxiliaires de la colonisation, ils n’étaient pas prévu que nous devenions des ingénieurs. La France n’avait jamais prévu ça et il n’y a que de temps en temps, les premiers de l’AOF qui venaient en France, pour étudier. Nous en ce qui nous concernent, à l’école des travaux publics de Paris pour devenir ingénieur, mais il y a quelques rares africains qui sont passés là-bas, mais très rares triés sur le volet. Les autres faisaient le baccalauréat mais quand on préparait le baccalauréat à l’époque, tout le monde était licencié en droit. Je vous à sûr, qu’au collège un maître nous a dit, monsieur Pichon. Je connais son nom encore, vous imaginez il y a 70 ans. Monsieur Pichon nous disait que le nègre ne sait pas tracer une ligne droite. La psychologie, c’est-à-dire on nous rendait incapable de tout faire. Or de cette classe-là, à laquelle moi j’ai eu à participé en 1953, nous avons au moins 15 ingénieurs, formé aux États-Unis, en Union Soviétique et moi je suis formé dans la meilleure université d’Allemagne fédérale, l’université technique de Munich. Je n’étais pas seul, on était deux, Abdourahamane Camara de Sikoya, à Boké et moi de Kankan et d’autres en Pologne ainsi de ainsi. Nous avons des ingénieurs formés dans tous ces pays, alors que lorsqu’on rentrait en 6ème, on nous disait que le nègre ne sait pas tracer une ligne droite. C’est pour vous dire que la colonisation a été réellement une entreprise inhumaine comme on dit. On enlevait aux autres  êtres humains toute confiance en leur humanité. On était bon pour faire le petit boulot pour les blancs. Après l’école des travaux publics de Bamako, j’ai était premier de l’AOF aussi, j’ai eu une bourse pour l’Allemagne fédérale, ça c’était déjà en 1960 deux ans après l’indépendance. Lorsque la Guinée est devenue indépendante, tous les pays du monde nous ont donné des bourses.
La Guinée a été le premier pays d’Afrique d’avoir formé des cadres dans les pays du monde entier que ça soit l’Allemagne fédérale, l’Italie, Bana Sidibé (ancien ministre des travaux publics), a été formé en Italie, les États-Unis, Alpha Ibrahima Bah, de Dalaba, Bangaly Kéïta de Dalaba aussi, Bogole, le copain Baldé, ce sont des grands ingénieurs américains. Bangaly Kéïta, il est encore aux États-Unis, il a travaillé durant toute sa carrière dans la mairie de New York, Abdoulaye Bah de Pita, a passé toute sa carrière à la mairie de Washington, ce sont eux qui donnaient les permis de construire. Bah Alpha a passé toute sa carrière à la Banque mondiale. On dit Bah Mamadou, Banque mondiale (Rire), mais celui qui a fait toute sa carrière à la Banque mondiale depuis sa sortie de l’université jusqu’à son départ à la retraite c’est Bah Alpha Ibrahima Sylla, qui était député jusqu’au dernier coup d’État de 2021. Ce sont mes copains de classe, on ne cherche pas 10 ans avant nous, 10 ans après nous, ça c’est ma classe. Abdourahamane lui, il est partis en Argentine, vous voyez, un ingénieur guinéen, grand ingénieur en plus, (Rire) en Argentine. Moi j’ai continué en faisant des études post-universitaire. Deux ou trois ans après, les patrons nous ont dit, parce que j’ai été chef de la JRDA (Jeunesse Révolution Démocratique Africaine) de 1959 date de création de la JRDA jusqu’en 1969 donc pendant 10 ans, j’étais chef de JRDA à Bamako. Et en 1969, nous avons quitté la JRDA pour rejoindre l’opposition et en 1970, nous avons créé le Regroupement des Guinéens à l’extérieur, (RGE). Dont Siradio Diallo était président et moi j’étais vice président. Mais je vous signale qu’à l’époque, honnêtement, nous les Guinéens de l’extérieur, nous ne connaissions pas du tout les ethnies. Vous avez Kaké et Siradio Diallo qui étaient nos patrons. Un jour, ils ont dit: bon, on ne peut rester ici disant qu’on est opposant au régime de PDG. Il faut que certains d’entre nous se sacrifient pour aller en Afrique, formés les jeunes guinéens qui sont en exil pour préparer notre retour en Guinée. Toi, toi, Dakar, toi, toi, Bamako, toi, toi Abidjan. C’est comme ça que moi je été affecté à Abidjan avec Bah Aliou qui est de Labé et Lambert Doré de Lola. Nous sommes allés et moi j’ai fait venir mes amis, NFaly Kourouma de N’Zérékoré, Zoumanigui Bakary Goyo de Macenta. Chez nous dans l’opposition guinéenne, il n’y avait pas d’ethnie, on était Guinéen et Guinéens c’est tout. C’est plus tard avec le coup d’État de Lansana Conté en 1985 contre les Diarra Traoré, on a vu les ethnies s’acharner sur les malinkés depuis lors la Guinée a complètement perdu les pieds. Voilà ça c’est pour la petite histoire. (Rire)
Les Guinéens s’apprêtent à fêter la fête de l’indépendance, le 2 octobre prochain. Quel ressenti avez-vous à l’approche de   cette fête?
Non, mais c’est une grande fierté parce quand même au référendum de 1958, moi j’ai demandé à mes oncles à Kankan les notables. J’ai dit oncles, c’était des gens du BAG, (Bloc africain de Guinée), qui avaient pour député à l’assemblée nationale Barry Diwandou, et comme président Kéïta Koumandian de Kouroussa. Mes oncles n’étaient pas du PDG (Parti démocratique de Guinée), Sékou Touré n’était même pas autorisé à entrer dans notre concession, à Kifina.
Et pourquoi?
Vous savez à Kankan, nous nous sommes des traditionalistes, nous sommes des grands commerçants, des religieux. Le sentiment révolutionnaire n’est pas de chez nous. À Kankan, je vous assure dans les années 53, 54, 55, le PDG, c’était le parti des non-initiés. Des grands commerçants, les religieux, les grands notables étaient du BAG. Le PDG lui, s’est accroché aux jeunes et aux femmes. Chez nous à Kankan en tout cas, c’était BAG. Vous savez Kankan et Conakry, c’est deux mondes différents, on n’a pas du tout les mêmes conceptions de la vie. Conakry moderne, Kankan traditionaliste, alors donc c’était comme ça. C’est après l’indépendance que le BAG, la DSG (Démocratie socialiste de Guinée) de Ibrahima Barry, « Barry III » ont rejoint le PDG. C’est à partir de ce moment que le PDG est devenu un parti unique. Mais le parti unique, il faut le dire, n’a pas été forcé. Sékou Touré n’a pas interdit les autres partis. Les autres partis ont rejoint le PDG, parce que déjà, en 1956-57 à l’assemblée territoriale française, après la suppression de la chefferie de canton, le PDG avait 58 député sur 60. Vous imaginez, c’est plus que la majorité des 4/5ème ça n’existe nulle part au monde. Ce qui veut dire que réellement le PDG a eu plus que la moitié absolue en Guinée. C’est pour cela que l’intégration de tout le monde dans le même système était facile. Ça n’a pas été forcé, ce n’est pas Sékou Touré qui a forcé, ce sont les réalités mêmes du pays. Donc Sékou Touré avait un pouvoir qui était vraiment un pouvoir absolu sur le pays. Chaque mot d’ordre du PDG était répercuté dans les régions les plus reculées du pays et la Guinée est devenue un bloc difficile à avaler pour le système colonial français. Imaginez vous que nous dans notre classe en 1957, on a fait une explication de texte. Je ne sais pas si vous faites ça dans les écoles. Au collège technique ici à Conakry, le texte était de l’éducation d’un jardin de Jorde Diamel et il disait que: quand un jardin est abandonné à lui-même, les herbes sauvages envahissent les fleurs, les petites plantes envahissent les herbes sauvages et les arbres s’imposent à tout ce système. La question était à quoi vous faites pensez ce texte? Notre professeure, Madame Miyaut, j’ai tous les noms dans ma tête encore ( Rire), parce que nous n’avons connu que des professeurs blancs. On n’a pas eu de noirs, c’étaient tous des français. On voulait faire de nous de bons français. Madame Miyaut interroge la classe: Bah Alpha, madame passe, Baldé, passe. Mansour Kaba passe, personne n’osait dire. On dirait, on était électrifié par le texte de Jorde Diamel. C’est très important pour les jeunes d’aujourd’hui. Au milieu de la classe Kéïta Sory lève la main. Il dit, madame moi, ce texte me fait penser à l’indépendance. Nous étions en 1957, (Rire), vous comprenez. Les politiciens, les Sékou Touré n’osaient pas encore parler de l’indépendance. Mais Kéïta Sory se lève madame, ce texte me fait penser à l’indépendance. Ah c’était le feu au poudre. La dame est devenue rouge comme une tomate, tu sais quand un blanc est choqué, tu sens tout de suite sur son visage. Alors donc la dame, commence, l’indépendance, vous ne savez même pas fabriqué une aiguille. Dans notre classe, il y avait un groupe de choque qui était décidé à la faire rougir à chaque coup. J’étais l’un des membres de ce groupe, c’est nous maintenant les ténors qui avons repris le débat contre madame en défendant l’indépendance. Je vous parle de 1957. Le référendum est venu plus d’un an après en 1958. Dans notre classe, nous on était parti pour l’indépendance, c’était déjà encré dans notre tête au point qu’à la fin de l’année, bien évidemment, ce n’était pas que ce débat, il y avait d’autres débats pendant toute l’année scolaire. À la fin de l’année, j’étais le premier de la classe et à l’époque, on faisait la distribution des prix dans chaque établissement: collège classique, collège technique, collège moderne, il y  avait un prix d’honneur de l’école. On donnait ce prix aux meilleurs des premiers de la classe, ma classe l’a mérité deux fois. Je l’ai eu deux fois en 4 ans, la dernière fois, c’était en 1957. Madame Miyaut du Conseil des professeurs, vient en classe, elle avait l’air très gênée. Elle dit bon, c’est votre classe qui a mérité de l’établissement du collège technique d’industrie de Conakry, mais pour des questions de discipline, le Conseil de professeurs a préféré donner le Premier prix au deuxième de la classe, Ousmane Diop. Qui est aussi un grand économiste en Afrique de l’Ouest, banquier. Après son discours, je lève la main. J’ai dit madame si mon deuxième est encore au dessus des premiers des autres classes, c’est que moi je suis un super premier, je n’ai pas besoin de prix ( Rire). Je me suis assis, la dame était morte, parce qu’elle voulait me choquer mais en retour, c’est moi qui lui ait choqué finalement. Dans mon bulletin, il a écrit, réussira à coup sûr mais un peu plus de modestie cependant. Et j’ai dit à la professeure, madame, dans notre classe ici, les deux jeunes français blancs qui étaient dans notre classe, je leur donne jusqu’au 15ème, il ne pourront jamais être parmi les 15 premiers de notre classe. Vous imaginez (Rire). Et ils n’ont jamais été parmi les 15 premiers de la classe. On était brillant, très brillant. En tout moi je suis fiers de cette classe. Je peux vous réciter des noms des 35 élèves, jusqu’aujourd’hui.
La suite/À suivre!
Propos recueillis par Richard TAMONÉ pour Billetdujour.com