Parmi les champs d’exploration les plus fascinants de la recherche médicale d’aujourd’hui figure la relation entre l’intestin et le cerveau, notamment en ce qui concerne le rôle des bactéries intestinales et leur impact sur la santé physique et comportementale. Le professeur Fukudo Shin, du Centre de la science du cerveau de l’Université du Tôhoku, nous fait part de ses observations sur l’étonnant axe cerveau-intestin, inspirées de ses recherches pionnières sur le syndrome du côlon irritable (SCI).

Professeur, Département de médecine comportementale, École de médecine de l’Université du Tôhoku. À l’issue d’études de troisième cycle effectuées au Centre médical de l’Université Duke et dans d’autres établissements, il est entré en 1988 à l’École universitaire de médecine de la faculté du Tôhoku, où il s’est spécialisé en médecine psychosomatique. Auteur de « Les sensations viscérales : la mystérieuse connexion cerceau-intestin » (Naizô kankaku — Nô to chô no fushigina kankei) et de nombreux articles de journaux.

À un niveau ou à un autre, les êtres humains ont toujours pressenti qu’il existait une connexion entre l’esprit et les organes de la digestion. En anglais, on parle de gut feeling (sensation viscérale, intuition) et de butterflies in the stomach (papillons dans l’estomac, trac). En japonais, l’expression hara no mushi (« un insecte dans l’estomac ») désigne la colère dévorante, et danchô no omoi (sensation d’éviscération) une peine déchirante. Et pourtant, ce n’est qu’assez récemment que la science a commencé à s’intéresser aux mécanismes qui se cachent derrière ce lien. Le professeur Fukudo Shin, un éminent expert du syndrome du côlon irritable, ou SCI, fait partie des gens qui cherchent à élucider les implications de la connexion cerveau-intestin sur la santé humaine.

« Pendant longtemps, dit-il, la science médicale a considéré le cerveau comme l’organe suprême et le plus noble, et relégué l’intestin, situé dans le tractus gastro-intestinal inférieur, au rang d’organe périphérique voué à la complétion de la digestion et à l’excrétion des déchets. Mais nous avons appris qu’il existe une communication étroite dans les deux sens entre le cerveau et le système digestif, tout particulièrement l’intestin. » Tout ce qui perturbe ou altère cette communication — depuis le stress émotionnel jusqu’aux déséquilibres bactériens dans l’intestin — est susceptible de provoquer toutes sortes de désordres physiques et psychologiques.

« Nous devons revoir nos hypothèses de base en ce qui concerne la relation entre l’esprit et le tractus gastro-intestinal. »

Le cerveau et l’intestin communiquent via le système endocrinien et le système nerveux autonome, qui comprend les systèmes nerveux sympathique, parasympathique et entérique (intestinal). Le nerf pneumogastrique, qui fait partie du système nerveux parasympathique, constitue sans doute le lien le plus important entre l’intestin et le cerveau. La façon dont le stress psychosocial peut affecter la transmission de ces signaux cerveau-intestin constitue un élément crucial de la recherche de Fukudo.

Fukudo a été l’un des premiers à envisager le syndrome du côlon irritable, comme un dysfonctionnement de l’interaction cerveau-intestin. Les patients atteints d’un SCI sont affligés de maux gastro-intestinaux (GI) intermittents sous forme de diarrhée, constipation, ballonnements et douleurs abdominales, qui peuvent avoir un impact sérieux sur la qualité de leur vie. En règle générale, pourtant, les examens et les tests cliniques ne décèlent aucune inflammation sévère ou autre anomalie intestinale.

Le professeur explique : « Le SCI se manifeste dans l’intestin, mais c’est aussi un dysfonctionnement lié au stress. On le rencontre surtout dans les sociétés industrielles avancées. Au Japon, on estime qu’environ une personne sur dix en souffre. »

Comme on pouvait s’y attendre, Fukudo a relevé une incidence de la dépression et de l’anxiété plus élevée chez les sujets atteints du SCI ou qui en présentent les symptômes, que chez ceux qui ne se plaignaient d’aucun symptôme GI. Selon lui, les patients atteints du SCI ont aussi tendance à partager certains traits de caractère, tels que la propension à la rumination ou à l’obsession. Outre cela, ils ont souvent du mal à verbaliser leurs émotions, ce qui peut être une source d’accumulation du stress. Le stress provoque la sécrétion d’hormones susceptibles d’accroître la motilité GI et la sensibilité viscérale, avec les symptômes de SCI qui en résultent.

Fukudo a certes axé ses recherches sur le rôle du stress psychosocial dans le SCI et d’autres troubles, mais il tient à souligner que l’interaction cerveau-intestin n’est pas une rue à sens unique. Loin de se réduire à un organe subalterne et soumis, obéissant aveuglément aux ordres du cerveau, l’intestin est en mesure de prendre ses propres décisions. Environ 90 % des signaux transmis par le nerf pneumogastrique circulent de l’intestin vers le cerveau. L’état de l’intestin, y compris son microbiote, peut affecter nos humeurs, nos préférences et notre comportement.

Les travaux scientifiques les plus récents indiquent que les divers micro-organismes qui habitent l’intestin jouent un rôle à part entière dans la communication qui s’établit entre le tractus gastro-intestinal et le cerveau. Leur fonction est en vérité si importante que beaucoup parlent désormais d’un « axe microbiote-intestin-cerveau ».

Nos corps sont un assemblage symbiotique très soudé de cellules humaines et de micro-organismes. Au cours des deux dernières décennies, les progrès spectaculaires de la connaissance de l’ADN ont permis aux savants de se doter d’une meilleure maîtrise de la quantité et de la diversité des organismes qui constituent le microbiome humain. En moyenne, le corps humain fourmille de plus de 100 milliards de milliards de microbes représentant quelque mille types de bactéries. Environ 90 % d’entre eux se trouvent dans les cellules et les muqueuses des intestins. À la naissance, nous héritons d’une partie du microbiote de notre mère, via la filière pelvigénitale, et nous en ingérons encore par le biais du lait maternel. Par la suite, notre flore intestinale continue de se diversifier pendant quelques années, pour se stabiliser vers l’âge de trois ans. (Voir aussi notre article : Nos amis les micro-organismes, ou une agriculture au service de notre système immunitaire)

Avec l’aide du microbiote intestinal, l’intestin génère divers produits chimiques dont on sait qu’ils ont un effet sur l’humeur et la cognition ainsi que sur la communication intestin-cerveau. En fait, plus de 90 % de la sérotonine du corps — un important neurotransmetteur et régulateur de l’humeur — sont secrétés dans l’intestin avec l’aide de microbes. Via les signaux envoyés au cerveau, notre flore intestinale exerce une influence sur nos envies alimentaires et les quantités de nourriture que nous ingérons. Des recherches récentes suggèrent que, lorsque certaines bactéries bienfaisantes prolifèrent dans l’intestin, le cerveau produit davantage d’ocytocine, l’« hormone du bonheur ». C’est ainsi que notre microbiote intestinal peut affecter nos émotions, notre sensibilité à la douleur et même notre comportement social.

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