L’écrivain guinéen est revenu dans une tribune sur l’actualité qui rythme le paysage sociopolitique.
Le bilan est tout fait, ce 2 Octobre, date anniversaire de l’Indépendance : c’est 66 ans de sang et de lames ! Le pays déroule le même agenda depuis 1958 : le pouvoir absolu et la misère du même nom. Si la Côte d’Ivoire voisine peut compter ses usines et ses autoroutes, la Guinée n’a rien d’autre à compter que ses bourreaux et ses morts.
Un seul bémol à ce deuil sans fin : les tyrans se suivent, mais ne se ressemblent pas. A chacun, son style, à chacun, sa méthode ! Sékou Touré tuait par pendaisons publiques ou par « diète noire » (ainsi appelait-il la privation totale de boisson et de nourriture). Lansana Conté fusillait dans les montagnes. Dadia Camara fauchait dans les stades, Alpha Condé, dans les manifestations de rue. Mamadi Doumbouya, préfère, lui, les disparitions. Ça ne fait pas de bruit, ça ne laisse pas de trace ; c’est plus discret, plus propre, pour ainsi dire.
Les derniers en date s’appellent Foniké Mengué et Billo Bah, deux responsables du FNDC (Front National de Défense de la Constitution), ce mouvement d’opposition qui rassemble les partis politiques, la société civile et les syndicats. Leur absence depuis le 9 juillet dernier, n’a pas, sur-le-champ étonné leurs proches outre-mesure, puisque sous le régime d’Alpha Condé comme sous celui des militaires, ils séjournent régulièrement à la prison centrale de Conakry. C’est le procureur de la République qui a semé l’inquiétude en affirmant ne rien savoir de leur sort.
Officiellement, ils ne sont donc ni détenus ni même inculpés. Et pourtant, selon divers témoignages, ils auraient été arrêtés par des hommes en uniforme, conduits dans la cour du palais présidentiel où ils auraient subi des bastonnades, puis jetés au bagne de Fotoba, sur l’île de Kassa, au large de Conakry. Vivent-ils encore, ont-ils déjà succombé à la torture ? Nul ne le sait. Il est certain en revanche, que l’atmosphère qui règne en ce moment à Conakry n’incite guère à l’optimisme.
Le 26 Septembre dernier, Madame Bilivogui reçoit un coup de fil anonyme lui demandant de se rendre au Camp Samory Touré, Quartier Général et siège du ministère de la Défense. De là, elle est conduite à la morgue de l’hôpital Ignace Deen pour identifier la dépouille de son mari, le colonel Pépé Célestin Bilivogui, disparu depuis un an.
Le 26 Septembre, le docteur Mamadi Dioubaté, chef du service pédiatrie de l’hôpital de Kankan est retrouvé mort dans sa cellule. Ce médecin avait été arrêté trois semaines plus tôt pour avoir brûlé sur la place publique une effigie du Général Mamadi Doumbouya. La seule réaction des autorités à ce qu’il faut bien appeler un crime d’Etat vient du préfet local et elle est de nature à vous glacer le sang : « Si nous attrapons une personne en train de brûler ces effigies, cette personne ira comme l’autre est allé » (sic). Le message est confus, mais tous les Guinéens ont compris : « Celui qui ose ternir l’image du président, celui-là mourra comme le docteur Mamadi Dioubaté est mort. »
Qui peut encore dire que la République de Guinée est en transition, qu’elle s’apprête à revenir à l’ordre constitutionnel ? Tout indique que le Général Mamadi Doumbouya se portera candidat aux prochaines présidentielles en violation flagrante de la Charte de la Transition et tout est déjà fait pour qu’il les gagne dès le premier tour. En Afrique, rien de plus facile que de gagner une élection dès le premier tour : il suffit de persécuter l’opposition et de museler la presse, deux choses que le tyran de Conakry sait très bien faire.
Cet ancien légionnaire a dissous le FNDC, interdit toute manifestation (sauf, bien sûr, celles favorables à sa candidature) et il n’admet que trois types d’opposants : les morts, les exilés et les disparus. A l’heure où nous écrivons ces lignes, les six principaux médias indépendants (quatre radios et deux chaînes de télévision) ne sont plus autorisés à émettre.
Curieusement, contrairement à ses homologues européens et américain, l’Etat français n’a toujours pas réagi à la scandaleuse disparition de Foniké Mengué et Billo Bah. Quant à l’OIF, (Organisation internationale de la francophonie) les dérives citées plus haut ne l’ont pas empêchée de réintégrer en son sein le régime putschiste de Conakry. Normal, me direz-vous, cet organisme international, chantre de la démocratie et des droits de l’Homme, se doit de féliciter les premiers de la classe.
Tierno Monénembo
Le Point