Le demi-frère de son père, toujours incarcéré à la maison centrale de Conakry depuis le 21 avril 2022 pour des faits de détournement, d’enrichissement illicite et de corruption, le neveu de Dr Ibrahima Kourouma (puisque c’est de lui qu’il s’agit) est menacé par des militaires encagoulés et des inconnus. Pris de peur et de panique, le jeune homme, commerçant de profession et dans la trentaine, a fui la Guinée. Dans une interview révélatrice avec votre quotidien en ligne Billetdujour.com, Kèmo KOUROUMA détaille pourquoi et comment il a quitté la Guinée et comment sa famille vit actuellement. Lisez ci-dessous :

Billetdujour.com : Bonjour Monsieur Kèmo KOUROUMA,

Kèmo Kourouma : Bonjour monsieur le journaliste.

Nous avons appris il y a des semaines que vous avez fui la Guinée.

Pour quelle raison avez-vous choisi le chemin de l’exil ?

Merci de l’opportunité que vous m’offrez ce matin. D’abord, j’ai fui la Guinée parce que je ne me sentais pas en sécurité. De plus, j’étais devenu la cible d’inconnus qui me rendaient visite à domicile et même à mon lieu de travail.

Expliquez-nous pourquoi et comment vous êtes devenu la cible d’inconnus.

Je suis le neveu de Dr Ibrahima KOUROUMA, ancien ministre de l’Habitat sous Alpha CONDÉ entre 2020 et 2021. Il a aussi été ministre de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation. J’étais en accord avec lui car c’est un demi-frère de mon père. Depuis qu’il a été nommé ministre de l’Habitat et qu’il a commencé à démolir des maisons sur ordre de son patron, le président de la République, Pr Alpha CONDÉ, ses proches et moi avons ressenti des menaces, surtout après les opérations de démolition dans les zones de Kaporo Rails et de Démoudoula. Je recevais des menaces par téléphone et même verbales. Je suis resté serein. Mais depuis l’arrestation de mon oncle par les militaires, la menace est devenue sérieuse. À mon domicile, situé à Macenta, où je vendais, des inconnus venaient souvent me demander. Heureusement, chaque fois qu’ils venaient, ils ne me trouvaient pas sur place. Une fois, des individus encagoulés et armés jusqu’aux dents sont venus pour me kidnapper, c’était un jeudi vers 12h, ils ne m’ont pas trouvé. C’est ma sœur qu’ils ont rencontrée. Ils lui ont demandé où était le propriétaire de la boutique. Elle leur a répondu qu’elle était une cliente et qu’elle attendait le propriétaire. Devant elle, ils ont commencé à fouiller, accompagnés d’injures, et ont pris tout ce qu’ils pouvaient. Sur place, elle m’a écrit de ne pas venir car je recevais des visiteurs indésirables. C’est à cause de ces menaces que j’avais changé de lieu. Mais malgré cela, je ne me sentais pas en sécurité. Il y avait des quartiers où je n’osais pas passer par crainte d’être battu ou agressé. Un jour, je suis allé à la maison centrale pour apporter du riz à mon oncle, Dr Ibrahima Kourouma. J’ai rencontré des gens qui m’ont dit : “Dieu ne dort pas. Tout se paie dans ce bas monde. Voilà ce que Dieu a fait à ton oncle. On va vous tuer tous ici.” Ce jour-là, j’ai eu peur. J’ai partagé ces menaces avec des gens qui m’ont conseillé : “Kèmo, si tu as les moyens ou la possibilité de quitter le pays pendant cette transition, il faut le faire pour ton bonheur et celui de ta famille.” Mais comme les gens avaient pillé la boutique où je travaillais, je suis retourné au village pour chercher un peu d’argent afin de fuir.

Et comment avez-vous pu quitter le pays ?

Quand j’ai eu un peu d’argent, je n’en ai parlé à personne sauf à ma femme. Et même à elle, je lui ai dit que j’allais dans un pays limitrophe pour me mettre à l’abri. J’avais acheté une moto pour tromper la vigilance des gens. C’est sur cette moto que j’ai quitté le village, avec tant de souffrances et d’amertumes. Arrivé à la frontière, j’ai revendu la moto pour traverser. Je vais vous envoyer des photos, vous comprendrez que ça n’a pas été facile. J’ai galéré, mais ici, je me sens un peu en sécurité. Je m’inquiète aujourd’hui pour ma femme et mes enfants qui ne sont pas à l’abri.

Où vous trouvez-vous actuellement ?

Je suis au Sénégal. Cela fait quatre mois que je suis arrivé ici discrètement, et je ne donne aucune information sur moi.

Dans quelle ville du Sénégal êtes-vous ?

Je ne le dirai pas. Je ne donne pas ma position. Je suis au Sénégal, c’est tout. Excusez-moi beaucoup.

Comment vivez-vous actuellement dans un pays que vous n’aviez jamais fréquenté ?

Ah, monsieur le journaliste, c’est compliqué. Vous-même, vous savez que l’exil est très difficile, surtout quand il est forcé. Mais le plus important, c’est ma vie et ma santé. J’ai la nostalgie de mon pays, de ma famille et de mes parents. J’ai même des frères et des oncles qui ont aussi quitté la Guinée à cause des mêmes menaces brandies par le pouvoir en place. La maison où nous vivions a été quittée par tout le monde, et nous l’avons même mise en location. À ce moment-là, la famille est dispersée.

Avez-vous des nouvelles de votre oncle incarcéré depuis plus d’une année ?

Oui, nous ne parlons pas, mais je m’informe à travers les journaux et quelques amis qui le fréquentent.

Quand comptez-vous retourner au pays ?

Lorsque le pays sera stable, lorsqu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières. Bref, quand le pays reviendra à la normale.

Entretien réalisé par Mobaillo Diallo pour Billetdujour.com