La toxicité des insecticides néonicotinoïdes pour les abeilles est reconnue. Si les apiculteurs renouvellent les élevages de l’espèce à miel Apis mellifera pour remplacer les pertes, les abeilles sauvages, elles, ne sont pas remplacées. Essentielles, elles sont également menacées de disparition avec des conséquences potentiellement désastreuses pour la biodiversité.
Les abeilles, clé de voûte des écosystèmes, sont indispensables à l’agriculture et à notre alimentation. Leur survie est essentielle à la biodiversité, car sans pollinisation, pas de reproduction sexuée des plantes. Pour les Nations unies, qui ont proclamé la Journée mondiale des abeilles le 20 mai, il y a urgence à résoudre « le problème du déclin, à l’échelle mondiale, de la diversité des pollinisateurs, et des risques que celui-ci comporte pour l’agriculture durable, les moyens de subsistance humains et l’approvisionnement en denrées alimentaires ».
En France, le taux de mortalité des abeilles Apis mellifera, maîtrisées par les apiculteurs pour produire du miel, est ainsi passé de 5% dans les années 1990 à désormais près de 30% tous les ans. Ce chiffre « considérable », comme le déplore Henri Clément, le secrétaire général et porte-parole de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), oblige les apiculteurs à renouveler constamment leurs colonies. Le nombre de ruches en France reste donc plutôt constant, pour s’établir, selon l’Unaf, à près de 1,3 million en 2019. Mais si les apiculteurs ne renouvelaient pas leurs cheptels, il est probable qu’il n’y aurait quasiment plus d’abeilles domestiquées.
Mille autres espèces d’abeilles
Mais ces chiffres de mortalité ne concernent que les abeilles domestiquées. Or, il existe près de 1 000 autres espèces en France, environ 20 000 à travers le monde. Celles-ci sont sauvages, solitaires pour la plupart, et personne ne les renouvelle, ce qui explique le déclin général des pollinisateurs. « Quand on parle de pollinisateurs, on pense tout de suite à l’abeille mellifère, c’est-à-dire l’abeille à miel qui vit en colonie et que l’on peut domestiquer dans des ruches. Or, les vrais tenants de la pollinisation, ce sont les pollinisateurs sauvages », explique Julie Pecheur, porte-parole de l’ONG Pollinis. « L’abeille mellifère ne contribue que de l’ordre de 15% à la pollinisation, les autres espèces en représentent donc 85% et disparaissent dans un silence total », renchérit Lionel Garnery, enseignant chercheur à l’Université de Versailles.
« Il existe même des espèces qui butinent leur pollen sur une seule espèce de plante. Quand cette plante disparaît, l’abeille disparaît », observe Bernard Vaissière, ingénieur agronome et Chargé de recherche dans l’unité Abeilles et environnement de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
En plus des pesticides qui affaiblissent le système immunitaire et déciment les populations, sauvages ou non, les pollinisateurs font face à de multiples problèmes : la destruction des habitats, le manque de ressources florales, la question des espèces invasives ou des changements climatiques.
La densification de l’apiculture, en particulier dans les espaces naturels sensibles, menace aussi l’équilibre des écosystèmes. Pour Lionel Garnery, cela peut « faire entrer l’abeille mellifère en compétition avec les pollinisateurs sauvages au risque de les faire disparaître. » « Dans les années 2000, lorsqu’on a commencé à voir les répercussions des traitements entamés en 1995 avec les néonicotinoïdes, des vagues d’importation d’abeilles, en provenance d’Afrique notamment, sont venues reconstituer les cheptels. Beaucoup de nouveaux apiculteurs se sont installés dans des zones jusque-là relativement conservées avec des espèces hybrides pour optimiser la production, ce qui a entraîné une altération des populations. » L’importation engendre des problèmes sanitaires, notamment des virus qui développent des maladies chez l’abeille.
« La dernière décennie, tout l’accent a été mis sur les abeilles mellifères, poursuit Julie Pecheur, on veut en mettre partout. C’est important de ne pas dépendre d’une seule espèce et, pour préserver la nature, d’élargir le champ de vision et de bien intégrer la richesse de l’ensemble des pollinisateurs. »
Près de la moitié des pollinisateurs en moins dans le monde
« Quarante-neuf pour cent des pollinisateurs dans le monde sont en déclin vers l’extinction. Particulièrement les papillons et les abeilles », alerte Jean-Marc Bonmatin, chercheur au CNRS. Les études ciblent l’utilisation de pesticides comme l’une des premières causes de ce phénomène. Ce déclin menace l’ensemble de la biodiversité. « La biodiversité, c’est une sorte de château de cartes. Quand vous supprimez les premières couches avec les pollinisateurs, les couches supérieures, comme les oiseaux ou les amphibiens, s’écroulent », se désespère Jean-Marc Bonmatin. Près d’un tiers des populations d’oiseaux vivant en milieu agricole aurait déjà disparu, signalent des chercheurs du Muséum national d’Histoire naturelle et du CNRS. La fonction écosystémique de la pollinisation, elle-même à la base de la vie sur la planète, est en danger.
Afin d’enrayer le déclin, le gouvernement planche sur un « plan pollinisateur », dont une nouvelle version a été présentée le 12 février dernier. La prise de conscience de l’écroulement de la biodiversité est essentielle, mais à l’Unaf, Henri Clément s’impatiente : « Il y a beaucoup de lobbying pour que rien ne change, comme toujours. On a eu des plans pour réduire l’emploi des pesticides depuis le Grenelle de l’environnement sous Sarkozy. Chaque fois, on s’aperçoit que c’est un flop. Non seulement la quantité de pesticide ne diminue pas, mais elle augmente. » Pour les spécialistes interrogés, la lutte contre le déclin des pollinisateurs passe nécessairement par une transformation du modèle agricole. Jean-Marc Bonmatin en est sûr : « L’agriculture de demain se fera avec la nature et pas contre la nature. »
Rfi