Interrogé sur les trois années de gestion du Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) en Guinée, le président du parti Bloc pour l’Alternance en Guinée (B.A.G), Abdoulaye Sadio Barry, a fait remarquer qu’elles ont été marquées par des hauts et des bas significatifs. Si la première année a été perçue comme positive, avec des initiatives prometteuses et des réformes courageuses, les deux années suivantes ont suscité des inquiétudes croissantes, culminant en une situation désastreuse à la fin de la troisième année. Lisez ci-dessous l’intégralité de cette longue interview !
Billetdujour.com.com : Quelle lecture faites-vous des 3 ans de gestion du CNRD ?
Abdoulaye Sadio Barry  :   Le bilan positif à la fin de la première année, inquiétant à la fin de la deuxième année et désastreux à cette fin de la troisième année. Le tout est en train de se noyer dans le sang.
Quels sont, selon vous, les principaux succès et échecs de cette période ?
Succès :
La restauration de l’unité nationale et l’apaisement social, le combat contre la division et les incitations à la haine et violence ethniques (arrestation et condamnation du préfet de Kankan et de certains blogueurs ethnos), la décision courageuse d’organiser le procès des crimes du 28 septembre 2009, la création d’une Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF).
Face aux sociétés minières, le CNRD a fait preuve de courage et de patriotisme en arrachant des parts pour la Guinée, qu’aucun régime n’avait cherché ou réussi à obtenir depuis l’indépendance.
Le projet de construction de raffineries pour que les Guinéens puissent enfin tirer profit de leurs ressources minières.
La normalisation du processus de recrutement et des retraites en Guinée.
L’obligation du démarrage du projet Simandou au lieu d’être mis en réserve comme le voulaient les partenaires au détriment de la Guinée.
La chance donnée à la Guinée, de se doter des institutions démocratiques et indépendantes du président qui sera élu après.
Echec :
L’échec du CNRD réside dans la genèse même de son régime. En s’adossant à des personnes connues pour leur opportunisme et manque de sérieux à la tête des institutions clés de la transition, et en démarrant avec un gouvernement de novices, sans expérience politique ni diplomatique, en refusant le dialogue et le partage du pouvoir dès le début, pour agir unilatéralement et dans l’arrogance totale et l’opacité, le CNRD ne pouvait que s’éloigner de la normale au fur et mesure du parcours.
Mamadi Doumbouya n’aurait pas dû écouter certains dès le début, qui l’ont incité à vouloir tout contrôler. Quand on veut instaurer la démocratie étant à la tête de l’exécutif, on ne nomme pas la direction de l’organe législatif. Pour garder sa crédibilité et s’imposer la droiture, le Président de la transition devait refuser cela.
De leur côté, si les forces vives (société civile et partis politiques) avaient des dirigeants à la hauteur, elles allaient s’opposer à cela pour contraindre le CNRD à partager le pouvoir et ne pas être tenté de tout contrôler en Guinée, nous ramenant ainsi de fait dans un régime de dictature.
L’erreur est donc partagée. Ensemble, nous devons maintenant assumer et, dans le dialogue, trouver une solution pacifique de sortie de crise. Sinon, on le payera tous très cher : la société civile, la classe politique, le peuple et à la fin les membres du CNRD qui semblent oublier que ce qu’ils font aujourd’hui peut les rattraper demain, où qu’ils soient dans ce monde. Si Alpha Condé peut encore se promener dans les supermarchés en Turquie, c’est parce qu’il n’est pas accusé de crimes contre l’humanité. Ce qui peut arriver au CNRD s’ils ne font pas attention. Après la mise en garde des Nations Unies à propos des tueries, c’est la condamnation qui sera la prochaine étape.
Les erreurs qui favorisent l’échec du CNRD :
La nomination de la direction de l’organe législatif censé garantir l’équilibre des pouvoirs.
La gestion unilatérale de la transition et des décisions importantes.
Le sabotage de l’Internet et l’interdiction des principaux médias indépendants du pays entrainant des pertes d’emploi de milliers de Guinéens, la rupture d’information et le ralentissement de l’activité économie du pays.
Des mesures de repressions, des kidnappings et assassinats qui créent la peur, l’insécurité généralisée et discréditent l’Etat guinéen. L’impact sera très négatif sur l’économie du pays. Le pays risque de ne plus retrouver une normalité tant que le CNRD restera au pouvoir. Cette situation risque de s’aggraver si Mamadi Doumbouya renie sa parole et viole son serment pour être candidat à des élections qui ne pourraient être alors qu’une mascarade pour conserver le pouvoir. Les conséquences seront incalculables pour la Guinée. Si Mamadi Doumbouya veut garder le pouvoir, on n’a pas besoin de gaspiller 500 millions de dollars à des élections pour la forme. Il n’a qu’à dire qu’ils ont pris le pouvoir par la force et qu’il le garde en utilisant l’argent pour les projets de développement. Pour tout le temps qu’il aimerait rester président, pas la peine d’organiser des semblant d’élection en Guinée avec le gaspillage et les cortèges de morts que cela va impliquer. Ils maintiennent le pays dans la situation d’exception jusqu’à ce qu’ils veuillent partir librement ou croisent d’autres Guinéens qui feront eux aussi recours à des armes contre eux. Avec des risques que la Guinée implose et se somalise.
Comment évaluez-vous l’impact de cette gestion sur la population et l’économie du pays ?
Un impact très négatif. La crise sociopolitique revient. L’Etat, par des mesures irréfléchies, crée du chômage, l’argent devient rare et la crise économique est en train de s’aggraver. La vie devient de plus en plus difficile en Guinée.
Votre réaction par rapport aux mouvements de soutien qui se créent autour du Général ? Pensez-vous que ces mouvements sont spontanés ou orchestrés ? Avec la genèse des mouvements de soutien qui ne surgissent pas du hasard, financés par des opportunistes et alimentaires que le CNRD a recyclés, la paix sociale que l’on avait acquise avec l’avènement de la junte au pouvoir est compromise. Des groupes de pro et contra CNRD s’affrontent déjà sur les réseaux sociaux. Bientôt, ça risque d’arriver dans les rues et quartiers du pays. A moins que le président de la transition arrête ce bal de sorciers maintenant pour préserver l’unité et la paix sociale en Guinée.
Ce qui assure la paix et la sécurité, c’est la justice, l’équité. Elle sera compromise si les arbitres veulent être en même temps joueurs, en violation de leur Serment solennel et de la Charte de la Transition !
Quel impact ces mouvements ont-ils sur la stabilité politique du pays ?
Les Guinéens qui avaient retrouvé leur unité et leur fraternité commencent à se diviser de nouveau et ne plus se parler normalement.
6-Parlez-nous brièvement de l’état de santé de votre parti.
Nous nous portons bien, Dieu merci ! Nous sommes déjà dans 25 préfectures sur les 33. Nous comptons bientôt couvrir tout le pays.
Quels défis majeurs votre parti a-t-il rencontrés récemment ?
C’est l’implantation dans les 33 préfectures du pays dans un climat de restriction de liberté politique et médiatique.
Quel message avez-vous pour les politiques, les acteurs de la société civile et le CNRD ?
Aujourd’hui, le monde va mal, pas seulement la Guinée. Et si la situation internationale se détériore, nous risquons de vivre une crise de type mondial qui aura un impact sur tous les ménages en Guinée. Si pendant ce temps, nous sommes plongés dans une crise sociopolitique nationale, comment pourrions nous préserver notre peuple des graves conséquences d’une crise mondiale économique et sécuritaire ?
Nous avons des responsabilités partagées dans les dérives du CNRD et le non-respect du chronogramme de la Transition. De la Charte aux organes de la transition, nous avons laissé les militaires décider unilatéralement seuls, sans résistance pour les aider à être démocrates. Le groupe des quatre, UFDG et alliés, RPG et alliés, UFR/UDG et FNDC se sont volontairement et arrogamment retiré du dialogue politique parce qu’ils exigeaient que ce dialogue ne réunisse qu’eux et le CNRD, mettant à l’écart les autres partis politiques et organisations de la société civile qu’ils qualifient de non-signifiant. Cela a engendré une division des forces vives que le pouvoir a bien exploitée. Les opportunistes et médiocres ont pris le devant, le dialogue a patiné et le chronogramme n’a pu être mis en œuvre. A qui la faute ? Pas seulement le CNRD. Pour la paix et éviter de nouveaux morts et blessés en Guinée, nous devons accepter d’être réalistes et penser tous au sort de notre peuple qui a trop souffert :
Côté CNRD : le président Mamadi Doumbouya doit comprendre qu’il est le responsable de la Transition, de son échec et de sa réussite. Il est responsable de la paix et de l’unité nationale. Il doit constater enfin que le pays est en train de glisser à nouveau vers les ravins et prendre ses responsabilités historiques. Il convoque les acteurs sociaux et politiques à un dialogue national inclusif. Personne ne doit être exclu ou supplié d’y participer. Ce dialogue doit faire le bilan, faire un état des lieux, ce qui a été fait, ce qui reste du chronogramme. Faire une analyse objective de la situation et faire des propositions de sortie de crise en définissant un nouveau chronogramme contraignant pour tout le monde. Un gouvernement d’union nationale pendant la prolongation de la transition serait par exemple une garantie de paix et de stabilité.
Côté Forces vives de Guinée : constater qu’il y a eu retard et que la transition ne peut terminer à la fin de cette année comme prévu. Accepter de répondre à l’appel du président de la Transition pour relancer le dialogue et trouver ensemble une solution adéquate de sortie de crise, dans l’intérêt de la nation tout entière.
Comment voyez-vous l’avenir politique du pays dans les prochaines années ?
Elle est entre les mains de Mamadi Doumbouya et du CNRD. S’ils sont de vrais patriotes et hommes de parole, la Guinée a toutes les chances de rattraper son retard politico-économique dans les 10 prochaines années. Mais s’ils mettent, eux aussi, leurs ambitions et intérêts personnels en priorité, alors la Guinée risque un nouveau bain de sang (crime contre l’humanité) et l’implosion dans les deux prochaines années. En démontrant clairement que le pouvoir en Guinée est désormais une affaire de force armée, les reflexes ethniques et hégémoniques vont renaitre avec le danger de guerre civile qui détruirait la République de Guinée. Personne n’y gagnerait !
 Monsieur le président, je vous remercie !
C’est à vous de vous remercier de m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer sur votre grand média.
Interview réalisée par Mobaillo Diallo