Connu pour son franc-parler et son regard critique sur tous les manquements dans la gestion de la chose publique, Tierno Monénembo reste aujourd’hui parmi les élites qui assurent l’avant-garde dans cette société où l’arbitraire est le maitre mot. Face à cette réalité sociale, Monénembo continue à alerter, denoner , louer les actes posés. De la transition en Guinée, il ne manque pas de mots.
« La question angoissante que tout le monde se pose dans cet exaspérant pays, cette contrée des rendez-vous manqués dénommée Guinée. En ce moment crucial où tout est possible, la rédemption aussi bien que le déluge, les Guinéens se souviennent amèrement du « Non » héroïque, de Sékou Touré, du coup d’Etat salutaire de Lansana Conté et du fol espoir suscité par l’avènement de Dadis Camara. Ils savent, dans les trois cas ce que cela a donné : rien que sang, rien que misère, rien que discorde et cacophonie ! Ne parlons pas d’Alpha Condé qui lui, n’a jamais rien eu d’autre à offrir que ses frustrations de jeunesse et sa noirceur de cœur.
Le Lieutenant-Colonel Doumbouya saura-t-il nous éviter les écueils du passé, ou comme ses sinistres prédécesseurs nous replongera-t-il dans le purin ? L’avenir le dira. En attendant, les signaux que nous avons reçus de ses trois mois de commandement suffisent à nous donner une idée de sa personnalité, de sa logique et de ses intentions.
Sa personnalité ? Plutôt sympathique ! Sa logique ? Elle tarde à se révéler. Ses intentions ? Plutôt bonnes pour l’instant, même si l’on sait que l’enfer est pavé de bonnes intentions.
La nomination à des postes honorifiques de Bouréma Condé et d’autres caciques de l’ancien régime nous est apparue comme un recyclage camouflé (on nous avait pourtant juré qu’il n’y aurait pas de recyclage !) Le traitement de faveur dont bénéficient Alpha Condé et de ses sbires passe comme une provocation aux yeux du peuple de Guinée en général et des familles de ceux qu’ils ont froidement assassinés en particulier. Que ces gens ne soient ni torturés ni humiliés, je veux bien. La Guinée doit en finir définitivement avec la barbarie politique ! Mais, ils doivent être soumis à un minimum de contrainte. Après tout, ces malfrats ont pillé ce pays, mitraillé des innocents et savamment orchestré la division nationale. C’est un scandale que ces bourreaux soient traités comme des citoyens ordinaires, libres de leurs mouvements sans peur, sans reproche, sans inquiétude. Dans cette affaire, la responsabilité de la junte est immense. Notre Lieutenant-Colonel et son gouvernement doivent rassurer les Guinéens. Il est urgent de leur déclarer solennellement ceci : « Pour rien au monde, les crimes et les délits dont vous avez été victimes ne resteront impunis. » Laisser les Guinéens se faire justice eux-mêmes, ce serait ouvrir les portes du pays à tous les vents mauvais ! L’arbre de la paix ne pousse que sur le terrain de la justice. La Guinée est un pays doté de tout. La justice est le seul trésor qui lui manque.
Mais ce n’est pas cela seulement qui nous inquiète. Trois mois après le putsch, on est en plein brouillard. Toujours rien de clair et sur le délai de la Transition et même sur la composition du CNRD. Là-dessus, le Lieutenant-Colonel Doumbouya doit nous édifier tout de suite. Un gouvernement qui avance masqué est un gouvernement qui a des choses à cacher.
Terminons malgré tout, cette chronique sur une note optimiste. Après le cimetière de Bambéto, notre beau légionnaire est allé se recueillir au mont Kakoulima où des personnalités aussi prestigieuses que Barry Diawadou, Fodéba Keïta et Kaman Diaby ont été froidement exécutées par le régime sanguinaire de Sékou Touré. Un geste qui honore hautement son auteur.
Enfin, un président guinéen qui a du cœur ! Ne serait-ce que pour cela, tous les rêves sont permis. »
Tierno Monénembo