Les charognards rôdent déjà autour du mourant. En 2016-17, le Royaume du Maroc avait créé la sensation en demandant à intégrer la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Une demande accueillie, semble-t-il, avec beaucoup de bienveillance de la part de plusieurs dirigeants de l’Afrique de l’Ouest, mais qui avait surpris beaucoup d’observateurs, du fait que ce pays n’a aucune frontière terrestre avec aucun pays de la Cedeao. La chose était encore plus étonnante en ce sens que le Tchad, qui est frontalière de l’Afrique de l’Ouest, s’était vu recalé au motif qu’il n’est pas situé dans la sous-région.
La demande du Maroc avait créé un appel d’air. A la suite du royaume chérifien, l’Algérie, la Tunisie, et à leur suite, la Mauritanie, avaient également exprimé le besoin d’intégrer l’organisation sous-régionale ouest-africaine. Toutes ces manœuvres ont été arrêtées avec le lancement de la Zone de libre-échange africaine (Zlecaf). Les pays du Maghreb, ainsi que les autres, se sont sans doute dit qu’il n’était plus nécessaire de se mettre en quatre pour intégrer un marché économique qui leur sera bientôt très grandement ouvert. D’ailleurs, il ne s’agissait au plus que de formaliser certaines choses. Les intérêts marocains, entre autres, sont déjà bien présents dans la sous-région, surtout dans le domaine de la finance -sous toutes ses formes- et des Btp, infrastructures et immobilier notamment. Le Maroc est également un acteur plus ou moins important dans le secteur agricole, notamment au Sénégal.
Tout cela n’a pas empêché que dès l’annonce de la volonté des 3 Etats membres de la nouvelle Association des Etats du Sahel (Aes), le Mali, le Burkina et le Niger, de se retirer de la Cedeao, le Maroc, à travers des officiels et des hommes d’affaires, s’est empressé de leur offrir ses services. Sachant qu’il s’agit ici de 3 pays enclavés, sans aucun débouché maritime, le pays du Roi Mohammed 6 leur fait miroiter tous les avantages qu’ils pourraient tirer de ses infrastructures portuaires, pour contourner un éventuel embargo qui les frapperait de la part des pays membres de la Cedeao. Une attitude on ne peut plus cavalière, mais somme toute juste. Bien avant Charles de Gaulle, on a toujours su que les pays n’avaient pas d’amis, rien que des intérêts. Ceux qui n’ont pas compris cela ont toujours été en proie à de fortes désillusions.
Il faut se rappeler que c’est la Mauritanie, principalement, qui a aidé le Mali à contourner l’embargo que lui avaient imposé les pays de la Cedeao. A l’époque déjà, nos voisins du Nord avaient compris que c’était une belle occasion, pour leurs ports de Nouadhibou et de Nouakchott, de prendre des parts de marché au Port de Dakar. Le Sénégal d’ailleurs, qui est le premier client du Mali et sa principale voie d’accès au monde, a fortement ressenti les contrecoups de cet embargo et des sanctions de la Cedeao et de l’Uemoa.
Cela pour dire que, si l’on estime que les pays «dissidents», qui ont décidé de prendre leur destin en main, vont souffrir de leur mise à l’écart des institutions communautaires, le niveau des relations économiques et sociales tissées depuis des siècles fait que leurs voisins ne trouvent pas matière à se féliciter de ce qui leur arrive. Les ports de Cotonou au Bénin et de Lagos au Nigeria ne sont pas contents de la forte baisse de trafic qu’ils connaissent du fait de l’embargo décidé contre le Niger.
Ce pays, comme les deux autres, se retrouvent dans cette situation à cause des putschs militaires qui ont imposé des changements violents de régime politique, ce que les membres des institutions communautaires n’ont pas accepté. L’ironie de l’affaire est de voir que, si la Cedeao et l’Uemoa étaient restées ces «syndicats des chefs d’Etat» que tout le monde critiquait à une certaine période, ils n’auraient pas mis les nouveaux dirigeants de ces pays au ban de la communauté et on n’aurait pas connu ces difficultés. C’est d’avoir voulu imposer des principes de bonne gouvernance qui a conduit à la situation actuelle. Et ces 3 dirigeants, Goïta, Traoré et Tchiani, ont pensé que claquer la porte réglerait leurs problèmes. Cela n’est pas évident, et ils s’en rendront compte très rapidement.
Pour le moment, le plus grand souci de ceux qui restent, est de tout faire pour éviter la dislocation. Des forces centrifuges, jalouses des réussites de la communauté économique, voudraient ramener tous les pays en arrière, et il faut les mettre en échec. Mais cela ne se fera pas à coups de concessions. Il faudra au contraire que les pays acceptent de donner encore plus de pouvoirs à la Cedeao, notamment à sa commission. Que cette dernière cesse d’être une coquille vide, ou un appendice des pouvoirs d’Abuja et d’Accra, principalement. De manière pratique, faire de la libre circulation des personnes et des biens une réalité concrète, en supprimant les barrières humaines et les rackets plus ou moins officiels.
Les pays doivent également mettre en application le Tarif extérieur commun, en favorisant la circulation des marchandises produites dans la sous-région, et croître le niveau des échanges entre les différents pays. Les différentes interconnexions de l’électricité, du téléphone devraient pouvoir aller plus loin, en y ajoutant l’eau et les échanges médicaux, entre autres. Des efforts sont faits dans ce sens, mais on a besoin de faire encore plus, et beaucoup plus vite. Plein de choses ont été entamées, même sur le plan économique. Il serait même temps d’avancer enfin sur la question de la monnaie unique, censée nous débarrasser du Cfa. Et surtout, ne pas adopter l’Eco du couple Ouattara-Macron. La Cedeao n’est pas encore moribonde, et la mariée a encore plein d’atours. Aux dirigeants des différents pays de les mettre en valeur.
Par Mohamed GUEYE / mgueye@lequotidien.sn