À l’approche la présidentielle du 6 mai, au Tchad, la question d’une éventuelle entente entre Mahamat Idriss Déby, chef de l’État et Succès Masra, son Premier ministre, devient un thème de campagne pour leurs adversaires. Est-ce donc possible que l’ex-opposant irréductible soit devenu l’allié secret du président qu’il combattait ?
En politique, tout est possible. Mais, il ne s’agit, pour le moment, que de conjectures, et l’attente ne devrait plus être très longue, pour que les Tchadiens apprécient, par eux-mêmes, ce qu’il en est, sur la base du déroulement du scrutin et des résultats qui seront proclamés. L’heure de vérité approche, qui dira à chacun si l’ex-opposant en chef garde quelque fidélité par rapport à ce qu’il proclamait naguère, et qui a poussé nombre de ses concitoyens à risquer leurs vies, en le suivant.
Pour ce qui est de la victoire que lui prédisent certains, l’héritier du maréchal Déby peut aussi bien la devoir aux mystères de la technologie électorale, au Tchad, qu’à une adhésion réelle à sa personne, dans une Afrique où une partie de l’opinion a tendance à voir un sauveur en chaque individu installé au pouvoir, y compris par des voies détournées. L’on avait vendu cette succession dynastique, présentée comme transitoire aux Tchadiens, comme un gage de stabilité pour le pays, et même pour le Sahel. Ils ne doivent pas être particulièrement fiers, aujourd’hui, les parrains de cette transaction qui sanctifie un autre pouvoir familial, en Afrique francophone. Et, au-delà du Tchad, le véritable problème est celui de ces héros plus ou moins artificiels, que l’on vend, à la chaîne, à certains peuples du continent.
Cette soif d’hommes providentiels n’est-elle pas légitime de la part de populations si souvent déçues par leurs dirigeants ?
Peut-être. Mais, on a du mal à croire que pour guérir des trois éprouvantes décennies d’Idriss Déby Itno, la solution soit de mettre en selle son fils, pour une nouvelle tournée. Au regard de la pénurie chronique de leaders charismatiques, aujourd’hui en Afrique, il suffit de si peu, pour impressionner des peuples trop longtemps abreuvés de mensonges et ballotés entre déconvenues cuisantes et grandes désillusions. L’enthousiasme de commande autour de dirigeants parvenus au pouvoir par la petite porte a tout de la gloire acquise à bon marché. Surtout pour des personnes parfois totalement inconnues du grand public, dont le pedigree ne justifie nullement les colonnes d’apothéoses qu’on leur dresse dans l’imaginaire populaire.
Certes, la pénurie de leaders charismatiques n’est pas moins chronique, à l’échelle planétaire, avec tant de crises plus insolubles que jamais. Mais, le drame de l’Afrique est qu’elle est plus vulnérable, avec des héros qui n’en sont pas du tout, alors qu’elle a, justement, besoin de leaders d’envergure. Ici et là, les rares qui feraient l’affaire sont parfois étouffés, sinon liquidés, pour laisser le champ libre aux imposteurs et autres maîtres de la captation d’héritage, prompts à récupérer le nom et l’image de grands leaders disparus qui rehaussaient, jadis, le prestige de l’Afrique, y compris au prix de leur vie ou de leur liberté : Lumumba, Nkrumah, Cabral, Sankara, Rawlings, Mandela, et tant d’autres, exemplaires par leur sens de l’intérêt général.
Se revendiquer de ces leaders n’est-il pas, déjà, une belle avancée ?
Ce serait trop facile, s’il suffisait de plagier les discours de ces figures charismatiques pour devenir ce qu’elles sont, à jamais, pour l’Afrique ! Si, encore, ces nouveaux héros avaient tous lu et digéré leur pensée ! La plupart ne font que rendre, plus ou moins laborieusement, des discours pondus par des personnes qui ont peut-être lu ces grands leaders, et s’en croient suffisamment experts pour faire de leurs nouveaux employeurs les Lumumba, Nkrumah, Sankara d’aujourd’hui.
Davantage que leurs discours, c’est leur sens de l’intérêt général et leur esprit de sacrifice qui faisait la grandeur de ces héros du panafricanisme. Tout l’enjeu, pour l’Afrique, est de leur trouver des successeurs à peu près à la hauteur.
Par :
Jean-Baptiste Placca/Rfi