Si les raisons plaidant dans le sens d’une non-candidature de l’opposition guinéenne à la prochaine présidentielle ne manquent pas, la politique du siège vide serait pourtant délétère. De nombreux arguments justifient, au contraire, que Cellou Dalein Diallo se déclare candidat pour incarner l’espoir de changement des Guinéens. 

JPEG

Y aller – quitte à légitimer l’illégitime – ou ne pas y aller – au risque d’accorder un blanc-seing au pouvoir en place ? Pour l’opposition guinéenne et son candidat phare, Cellou Dalein Diallo, la décision de concourir ou non à l’élection présidentielle d’octobre prochain relève du dilemme cornélien. Et la place, surtout, devant sa responsabilité historique. Alpha Condé, dont la candidature à un troisième mandat consécutif à la tête de la Guinée Conakry vient d’être officialisée, est en effet presque assuré de se succéder à lui-même ; le président en exercice s’est livré à un certain nombre de manœuvres électorales et politiques (réforme constitutionnelle et du fichier électoral, notamment) excluant, sur le papier, toute victoire de ses opposants.

La tentation du siège vide

Si sa défaite est acquise, anticipée et même programmée, pourquoi l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée) devrait-elle se donner la peine de présenter son candidat ? Pour une partie l’opposition guinéenne, participer de plein gré à une élection biaisée reviendrait, en effet, à reconnaître la légalité de la nouvelle Constitution imposée par le clan d’Alpha Condé, ainsi qu’à légitimer l’Assemblée élue lors du double scrutin du 22 mars dernier. Si Cellou Dalein Diallo se lance dans une bataille présidentielle perdue d’avance, sa candidature ne risque-t-elle pas de normaliser un inéluctable troisième mandat de M. Condé, tout en niant, aux yeux de tous, l’existence même de l’une des plus graves crises politiques que traverse son pays ?

D’autres raisons plaident en faveur d’une non-participation de Cellou Dalein Diallo au scrutin d’octobre. Elles résident, entre autres, dans l’exclusion du fichier électoral de plusieurs centaines de milliers de Guinéens ainsi que dans l’enrôlement, au sein des zones contrôlées par le RPG (Rassemblement du peuple de Guinée, le parti d’Alpha Condé) de milliers d’enfants au service des basses œuvres du pouvoir ; autant de manœuvres qui laissent présager, quel que soit le degré de mobilisation des « vrais » électeurs guinéens, un résultat à la « soviétique ».

Le boycott, une impasse

Tout semble donc vouloir détourner l’opposition d’une possible candidature. Pourtant, plusieurs raisons objectives appuient, au contraire, dans le sens d’une participation de l’opposition guinéenne à l’élection présidentielle. En premier lieu, l’histoire politique africaine récente démontre que boycotter une telle échéance ne conduit, jamais, au changement politique désiré. Pour flamboyant qu’il soit, le boycott ne mène, par définition, pas au pouvoir. Il est nécessairement synonyme d’extinction des forces d’opposition et de préservation du système en place. La politique de la chaise vide revient à abandonner le terrain à l’adversaire et, en ce qui concerne la Guinée, à renoncer au départ d’Alpha Condé ; elle n’est, en cela, pas une option viable.

Si Cellou Dalein Diallo « n’y va pas », il prive les Guinéens de tout espoir de changement. Il se prive aussi lui-même de tout recours, de toute légitimité à contester les résultats de l’élection et la politique menée par son adversaire, de toute voix. Au contraire, si CDD « y va », il empêche Alpha Condé d’être la seule voix audible et la seule figure visible dans le paysage politique guinéen ; il contribue à brouiller le message du candidat-président ; il démontre à ses concitoyens qu’il est résolu à prendre des risques pour leur liberté, que cette échéance électorale majeure dépasse sa propre personne ; en d’autres termes, il se rend incontournable. Quel homme politique digne de ce nom reculerait devant une telle promesse ?

Honorer la mémoire des martyrs

Le camp de l’UFDG doit également prendre en considération le contexte particulier à cette élection. A la différence des précédents scrutins de 2010 et 2015, Alpha Condé ne jouit plus, et pour cause, du statut d’opposant historique, adoubé par les démocrates du monde entier. C’est un homme à l’image dégradée, dont la légitimité et la crédibilité sont fortement entamées – y compris dans ses propres « fiefs » – qui se présente aux électeurs guinéens. Ne pouvant s’appuyer sur aucun bilan défendable, la candidature du président sortant s’inscrit par ailleurs dans une dynamique régionale s’opposant aux troisièmes mandats. Il appartient donc à Cellou Dalein Diallo de capitaliser sur les frustrations et déceptions de la population, en créant les conditions d’une synergie des volontés, à même d’assurer, par exemple, que les opérations électorales se déroulent dans les meilleures conditions possibles.

Il faut également relever que la candidature de l’UFDG ne s’oppose pas à la lutte, plus générale, menée au sein du FNDC (Front national pour la défense de la Constitution), le vaste mouvement populaire qui s’est, depuis 2019, structuré autour du rejet de la modification constitutionnelle voulue par Alpha Condé. Enfin, se retirer ou se taire reviendrait à devenir complice des bourreaux ; que Cellou Dalein Diallo se lance dans la course à la magistrature suprême sera, au contraire, le plus bel et vibrant hommage rendu à la mémoire des martyrs morts pour la vérité et l’avenir de la Guinée. Une telle occasion ne se présentera peut-être plus jamais et, en tout état de cause, pas avant de longues années. Les Guinéens ne peuvent plus se payer le luxe d’attendre.

Mobile.agoravoix.fr