L’ancien chef de l’Etat (de 1974 à 1981), dont le mandat avait été marqué par d’importantes avancées sociétales, s’est éteint mercredi soir dans sa propriété d’Authon dans le Loir-et-Cher. Il avait été hospitalisé à plusieurs reprises ces derniers mois pour des problèmes cardiaques. Mais finalement c’est la Covid-19 qui a eu raison sur lui.
Valéry Giscard d’Estaing est mort. L’entourage de l’ancien chef de l’Etat et l’Elysée ont fait cette annonce à France Télévisions, mercredi 2 décembre. Il s’est éteint à l’âge de 94 ans dans sa maison familiale du Loir-et-Cher.  En septembre, il avait connu une brève hospitalisation pour une infection pulmonaire, avant de regagner son domicile. Puis il avait de nouveau été hospitalisé à Tours quelques jours en novembre. « Son état de santé s’était dégradé et il est décédé des suites du Covid-19 », a indiqué la fondation Valéry Giscard d’Estaing sur Twitter, précisant que « conformément à sa volonté, ses obsèques se dérouleront dans la plus stricte intimité familiale ».
Plus jeune président de la Cinquième République lorsqu’il est élu en 1974, Valéry Giscard d’Estaing avait fait l’une de ses dernières apparitions publiques le 30 septembre 2019 lors des obsèques à Paris d’un autre président de la République, Jacques Chirac, qui fut son Premier ministre.
Ce fervent défenseur de l’Europe, qui affichait une longévité politique record, prenait encore de temps à autre la parole dans les médias. En novembre, à l’occasion de la sortie de son dernier roman, Loin du bruit du monde, il expliquait au Figaro « souhaiter que le contexte sanitaire revienne bientôt à la normale pour que nous puissions nous relever de cette période pénible et aller enfin de l’avant. La France en a grand besoin. » Elu neuf fois député du Puy-de-Dôme, nommé plusieurs fois ministre, VGE, comme il était communément appelé, a longtemps été le plus jeune président de la République, avant d’être détrôné par un certain Emmanuel Macron.
L’appel du général de Gaulle

« Il est le seul président, depuis moi-même et vaguement Mitterrand, (…) à être pro-européen », louait encore Valéry Giscard d’Estaing en 2018 dans une interview à L’Opinion, tandis qu’un an auparavant il saluait la « jeunesse » et la « vitalité » d’Emmanuel Macron dans un entretien à la RTBF. Macron, fils spirituel de VGE ? Sur le plan des idées, la question mérite d’être posée. Sur le plan personnel, leur parcours politique est radicalement différent. Lorsqu’il conquiert l’Elysée en 1974, Valéry Giscard d’Estaing a déjà une solide expérience du pouvoir.

Fils d’un maurrassien et d’une bonapartiste, VGE naît le 2 février 1926 à Coblence, en Allemagne, où son père était en poste durant l’occupation de la Rhénanie par les forces françaises. Quelques mois plus tard, ce dernier, inspecteur des finances, est rappelé à Paris. La famille déménage ensuite à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), ville dont l’arrière-grand-père du jeune Valéry a été maire. C’est alors que la Seconde Guerre mondiale éclate. « Nous avons assisté à l’affreuse débâcle, au spectacle d’une foule terrorisée, affamée et en partie ruinée qui défilait le long des routes, mêlée à des éléments militaires », racontera des années plus tard à l’Express l’ancien président. Le 18 juin 1940, il entend l’appel du général de Gaulle.

« Ma mère a été une gaulliste de la première heure (…). Un jour, elle nous a dit qu’un général français allait parler à la radio. J’ai donc, dans ma mémoire auditive, le premier appel du général de Gaulle. » Valéry Giscard d’Estaing à « L’Express », en 2013

A 18 ans, le jeune homme participe à la Libération de Paris et s’engage dans la première armée française où il est décoré de la croix de guerre. Valéry Giscard d’Estaing renoue ensuite avec les études. Bête à concours, il décroche Polytechnique en 1946 puis intègre l’ENA, trois ans ans plus tard. Il ressort sixième de sa promotion, la promotion Europe. Côté cœur, c’est sa mère, May Bardoux, qui se met en tête de lui trouver un beau parti. A 26 ans, il épouse, en décembre 1952, Anne-Aymone Sauvage de Brantes, issue de la noblesse française, avec qui il aura quatre enfants.
La mort de Jacinte, la plus jeune des filles du couple, en 2018, à l’âge de 57 ans, des suites d’une longue maladie, a profondément « affecté » l’ancien président, selon Le Monde. « Elle était la benjamine, celle qui posait à ses côtés sur les affiches de la campagne victorieuse de 1974 », rappelle le quotidien du soir.
Une ascension fulgurante
Valéry Giscard d’Estaing ne rêve pas d’une carrière en politique à ses débuts. « Je m’imaginais ingénieur des Ponts et Chaussées ou sous-gouverneur de la Banque de France », raconte-il à L’Express. Comme son père, VGE embrasse la carrière d’inspecteur des finances avant finalement de plonger dans le grand bain de la politique. En décembre 1955, le président du Conseil Edgar Faure dissout l’Assemblée nationale et pousse le jeune polytechnicien, qui travaille dans son cabinet, à se présenter. Il est élu au Palais-Bourbon et succède à son grand-père Jacques Bardoux, député du Puy-de-Dôme. Dès lors, il connaît une ascension fulgurante, devient secrétaire d’Etat au Finances en 1959 puis ministre des Finances et des Affaires économiques trois ans plus tard, à l’âge de 36 ans, dans le gouvernement Debré. Il conserve ses fonctions sous le gouvernement Pompidou et y passe, selon son biographe Eric Roussel, « des années qui resteront sans doute les plus heureuses de sa vie ».

En 1965, le général De Gaulle est réélu face à François Mitterrand. VGE espère pouvoir conserver son poste mais patatras !, ce n’est pas du tout ce qu’il se passe. « De Matignon, mais aussi de l’Elysée, il lui vient la même nouvelle : Michel Debré souhaite revenir au gouvernement, et précisément, rue de Rivoli, écrit Eric Roussel dans son livre Valéry Giscard d’Estaing (L’Observatoire, 2018). Le chef de l’Etat a répondu à son vœu et il lui reste donc soit à accepter un autre portefeuille, soit à renoncer à faire partie du nouveau ministère. » On lui propose de lui confier l’Equipement et l’Energie. « Je n’ai pas pensé une seconde à accepter cette proposition. Cela ne m’intéressait pas », confie-t-il à Eric Roussel. VGE exerce de nouveau à l’Inspection générale des Finances de 1966 à 1967 mais retrouve vite le chemin des ministères en se voyant confier l’Economie et les Finances à l’élection de Georges Pompidou en 1969. Deux ans avant la fin de son mandat, ce dernier meurt sans désigner de successeur, le 2 avril 1974.
La campagne novatrice de 1974

Six jours plus tard, Valéry Giscard d’Estaing annonce sa candidature à la présidentielle depuis la mairie de Chamalières (Puy-de-Dôme), expliquant vouloir « regarder la France dans les yeux ».

« Je m’adresse à vous, aujourd’hui, dans cette mairie de la province d’Auvergne, pour vous dire que je suis candidat à la présidence de la République française. » Valéry Giscard d’Estaing
« Il ne nous avait pas avertis, on était surpris mais contents », se souvient Roger Arcambal, conseiller municipal à l’époque, dans une interview pour France 3.
Le rival de VGE s’appelle Jacques Chaban-Delmas. Soutenu par les gaullistes de l’UDR, l’ancien Premier ministre de Pompidou (1969-1972) bénéficie d’importants moyens politiques et financiers. Mais Valéry Giscard d’Estaing, qui peut compter sur le soutien de Jacques Chirac, surprend en misant sur une campagne de communication aussi moderne qu’efficace. Il s’inspire de son modèle américain, John Kennedy, et se met en scène sur ses affiches officielles avec sa fille Jacinte. Le jeune candidat, qui mène campagne sur le thème d’une « société libérale avancée », fait également arborer à une flopée d’artistes qui le soutiennent, tels Brigitte Bardot, Charles Aznavour, Alain Delon ou Johnny Hallyday, des tee-shirts flanqués du slogan « Giscard à la barre. »
Le 5 mai 1974, il arrive en deuxième position avec 32,60% des voix, derrière François Mitterrand (43,25%), mais surtout devant Jacques Chaban-Delmas (15,11%). Le débat d’entre-deux-tours restera dans les annales. « Il aurait fallu utiliser cette richesse créée par tous afin que le plus grand nombre vive. C’est presque une question naturellement d’intelligence, c’est aussi une affaire de cœur », lance François Mitterand à son adversaire. Une pique qui va permettre à VGE de prononcer en réponse sa célèbre réplique : « Je trouve toujours choquant et blessant de s’arroger le monopole du cœur. Vous n’avez pas, monsieur Mitterrand, le monopole du cœur. »

Le 19 mai 1974, VGE est élu président de la République avec 50,81% des voix. Il a seulement 48 ans. « Vous voulez le changement, vous ne serez pas déçu, une ère nouvelle arrive », lance le tout nouveau chef de l’Etat à ses partisans le soir de sa victoire. Son premier acte symbolique est d’ailleurs de bousculer le protocole en remontant les Champs-Elysées à pied.
Des avancées sociétales aux diamants de Bokassa

« La destinée, l’intelligence, le savoir-faire et le refus de la gauche conduisent donc Giscard à l’Elysée », note L’Express, en mai 1980. Le septennat commence tambour battant avec d’importantes réformes sociétales. L’une des premières mesures du nouveau président est de faire abaisser la majorité civile et électorale de 21 à 18 ans. Près de 2,4 millions de jeunes Français viennent alors grossir le corps électoral. En juillet 1974, Valéry Giscard d’Estaing crée un secrétariat d’Etat à la Condition féminine, à la tête duquel il place la journaliste Françoise Giroud. Quelques mois plus tard, le 26 novembre, le projet de loi sur la dépénalisation de l’avortement est présenté à l’Assemblée nationale, porté par la ministre de la Santé, Simone Veil. La loi Veil est promulguée le 17 janvier 1975. Suivent également l’autorisation du divorce par consentement mutuel ou la suppression de l’ORTF.

Mais les projets de VGE se heurtent rapidement à la crise économique avec les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Le gouvernement affronte la première forte hausse du chômage. En 1976, le chef de l’Etat fait face, cette fois, à une grave crise gouvernementale. Le Premier ministre, Jacques Chirac, démissionne avec fracas. « Je ne dispose pas des moyens que j’estime nécessaires pour assumer efficacement les fonctions de Premier ministre », tâcle-il. Une rupture qui a laissé des traces profondes entre les deux hommes.
« La communication a toujours été difficile entre Giscard et moi, avant de devenir quasi impossible à fin de son septennat, tant j’ai du mal à comprendre ses réactions, ses façons d’être et sa psychologie. »  Jacques Chirac dans ses Mémoires
L’affaire se complique pour VGE avec l’affaire des diamants de Bokassa qui, dira-t-on, lui a coûté en partie sa réélection. Le 10 avril 1979, « Le Canard enchaîné se fait l’écho de plusieurs cadeaux, dont des plaquettes de diamants, que Jean-Bedel Bokassa, empereur autoproclamé de Centrafrique, aurait faits au président Giscard d’Estaing », rappelle RFI. La défense de VGE, qui « oppose un démenti catégorique et méprisant », passe mal. Un an plus tard, c’est François Mitterrand qui lui ravit l’Elysée. Le 19 mai 1981, le désormais ex-président s’adresse aux Français et conclut son intervention par son célèbre « au revoir ».
Une vie politique après l’Elysée
Pour digérer sa défaite, VGE s’isole dans un monastère du mont Athos, en Grèce, puis passe six semaines dans un ranch des Rocheuses, au Canada, raconte Le Monde. De retour à Paris, il remonte en scelle, se consacre à ses activités au sein de la région Auvergne, qu’il présidera jusqu’en 2004, et redevient député du Puy-de-Dôme. VGE ne cesse jamais de croire qu’il pourra revenir aux plus hautes fonctions. En 1986, écrit le quotidien du soir, « François Mitterrand, qui inaugure la première cohabitation, lui a fait miroiter le poste de Premier ministre. Mais c’est Jacques Chirac qui est choisi. » Il pense se présenter à l’élection de 1995 avant de finalement jeter l’éponge en mars.

En 2001, il est nommé président de la Convention européenne, chargée d’élaborer une Constitution pour l’Europe. Un poste de rêve pour VGE l’europhile. Mais le 29 mai 2005, tout s’effondre lorsque les Français disent « non » au traité constitutionnel européen. Valéry Giscard d’Estaing ne se retire pas pour autant de la politique. Il était, par exemple, le dernier des « ex »-présidents à participer aux séances du Conseil constitutionnel, après le retrait de Jacques Chirac en 2011, tandis que Nicolas Sarkozy et François Hollande ont renoncer à y siéger.
Féru de littérature, VGE avait également son fauteuil depuis 2003 à l’Académie française. Auteur de nombreux ouvrages, l’ancien président affole en 2009 la presse britannique et française avec la sortie du roman La Princesse et le Président (éd. de Fallois), faisant croire à une liaison avec Lady Diana. « J’ai inventé les faits, mais pas les lieux ni les décors, que j’essaie de peindre avec une écriture très visuelle », avait-il reconnu auprès du Figaro. Pourquoi avoir choisi de raconter une telle histoire ? Le Times suggérait que « cette romance sensationnelle [servait] à couper l’herbe sous le pied des Mémoires de son ennemi numéro un, Jacques Chirac. » La politique, toujours.
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