C’est au XIVème siècle que mes lointains ancêtres ont quitté le Fouta-Toro (Sénégal actuel) pour s’implanter dans le Mâcina (Mali actuel). C’est vers 1625, que mon ancêtre direct, Hamman Danêri a quitté la région de Mopti pour parquer ses bœufs dans les vallées du Fouta-Djalon (Guinée actuelle). Dans mes gènes comme dans mes rêves, ces trois pays-là n’en font qu’un : le mien. Il en est de même en ce qui concerne l’histoire et la géographie. Des deux côtés des frontières, la même eau, le même sang, les mêmes patronymes : N’Diaye, Diop, Bah, Diallo, Keïta, Traoré !
Sans doute comme moi, vous en avez jusque-là de ces réduits coloniaux dans lesquels nous avons tant de mal à étendre nos jambes. Vous voyez d’ici où je veux en venir, à ce serpent de mer appelé unité africaine dont nous parlons à longueur de journée et dont personne n’a jamais vu la couleur.
Savez-vous que malgré les océans de salive et les tonnages de documents, sur l’ensemble du continent, une seule réunification a abouti, à ce jour, celle de la Tanzanie née en 1964 de la fusion du Zanzibar et du Tanganyika. Partout ailleurs, c’est le cafouillage, le tiraillement, la dislocation. Nous parlons d’unifier le continent tout entier alors que nous n’arrivons même pas à maintenir la cohésion dans nos différents pays.
Et pourtant, pas besoin de lire Du Bois, Padmore ou N’Krumah pour savoir que l’unité africaine n’est ni un luxe ni une coquetterie intellectuelle. C’est une nécessité vitale ! Tels qu’ils sont nos pays ne sont pas viables, ce sont tout au plus des bantoustans taillables et colonisables à merci, de simples terrains de jeu pour les rivalités démoniaques des grandes puissances. Il va de soi que seule l’unité pourrait nous sauver de l’aide internationale, ce pillage déguisé de nos matières premières. Seulement, l’unité, c’est du solide, c’est du concret : un catalogue de bonnes intentions ne suffit pas pour en dresser les murs. Il faudra trouver la bonne règle et la bonne équerre et mieux encore, le bon plan. C’est une folie que de vouloir commencer la maison Afrique par le toit. Commençons par le soubassement c’est-à-dire par de bons ensembles régionaux fondés sur les liens historiques et culturels et porteurs d’un sérieux projet d’intégration économique et sociale. L’édifice pourrait alors tenir à condition de donner du contenu à la CEDEAO, à l’UMA, et aux autres organisations du même type. Pour l’instant, ce sont des coquilles vides où des fonctionnaires grassement payés s’ennuient à pondre des rapports que personne ne lira.
Sur ce point, La CEDEAO, malgré ses nombreuses insuffisances, peut-être traitée de pionnière. Elle a déjà institué le passeport commun, la libre circulation des personnes et des biens ainsi que l’assurance régionale. Il reste encore beaucoup à faire : la création d’un véritable marché agricole, la mutualisation effective de l’eau, de l’électricité, du transport aérien et maritime, la mise en place d’un seul et même visa touristique, etc. C’est le minimum d’unité que l’on souhaite pour toutes les régions du continent.
Car, les frontières nées de la colonisation sont absurdes et nuisibles. Ce ne sont pas des frontières, au juste, ce sont des cordes pour nous étrangler. Les garder serait se résoudre à vivre éternellement dans la misère et sous la domination étrangère. Il m’est arrivé de traverser un village où le puits se trouve au Cameroun et le cimetière, au Nigéria. Parfois, c’est encore pire. Voilà ce que me disait récemment à Dakar, N’Dèye Diallo, une jeune sénégalo-guinéenne, née à Pikine d’un père guinéen et d’une mère sénégalaise : «Cette maudite frontière, ce ne sont pas la Guinée et le Sénégal qu’elle sépare. C’est moi qu’elle coupe en deux. Je la supprimerai un jour, je le jure !»
Que Dieu t’entende, N’Dèye Diallo !
Tierno Monénembo