Âgée de 31 ans, Assana Bakayoko est devenue une figure de la lutte pour les droits des personnes handicapées en Côte d’Ivoire.

Cette jeune femme qui souffre d’albinisme caressait le rêve de devenir journaliste présentatrice.

Malheureusement, les discriminations et les préjugés liés à son handicap l’ont écartée de ce métier, dissuadée par les nombreuses remarques sur son albinisme et du fait que la société ivoirienne n’était pas prête à voir une albinos sur les écrans.

Pour autant, Assana n’a pas abandonné son rêve d’enfant, sa détermination et son courage ont fini par payer.

Le temps d’un Journal Télévisé, elle a pu vivre sa passion à fond en co-présentant l’édition du 20h de ce mardi 3 décembre sur NCI, une télévision privée ivoirienne.

Un moment d’histoire, une expérience unique qu’elle a accepté de partager avec BBC Afrique, avec en toile de fond un combat contre les discriminations.

« Je suis titulaire d’un Master 2 en Comptabilité et Finance et aujourd’hui je travaille en tant que Sous-Directrice chargée de la Jeunesse, des Sports et Loisirs au District Autonome des Lacs. »

« Dans notre famille, il y a déjà un enfant albinos parce que ma grande sœur est atteinte d’albinisme et donc pour moi, c’était beaucoup plus facile au niveau du tissu familial parce que les parents avaient déjà vécu l’expérience d’une fille albinos. « 

« Le problème c’était plus à l’école et dans le quartier, je dirais en quelque sorte la société elle-même. »

« Je ne peux pas dire que j’ai eu une éducation normale, non. Le primaire a été très difficile. Vous savez quand on est enfant et on se rend compte qu’on a pas les mêmes capacités que les autres enfants, c’est quand même compliqué. « 

« Quand tu es une personne atteinte d’albinisme, tu ne vois ni de loin ni de près. Je ne peux pas regarder directement la lumière car mes yeux me font mal.

« Pour recopier mes leçons, je devais faire des interminables allers-retours entre le tableau et mon table-banc et c’était très difficile pour moi car je ne pouvais distinguer que ce qui est en face de moi. « 

« Donc il fallait que je m’approche le plus près possible du tableau noir et mes camarades de classe se plaignaient à chaque fois parce que je les empêchais de voir correctement. « 

« J’étais obligée de patienter jusqu’à la la récréation ou à la fin des cours pour que je puisse copier mes leçons. Cela a duré un bon bout de temps et j’ai dû m’adapter au fil des années « .

 » C’est une fois en classe de CE1 que j’ai réellement pris conscience de mon handicap et de ma différence avec les autres enfants. Parce que c’est à partir de cette classe là qu’on commence à copier des leçons, et pendant une longue période c’est ma maman qui recopiait mes leçons à ma place parce que je ne voyais pas bien. C’était vraiment compliqué pour moi mais grâce au soutien de ma famille j’ai réussi à passer le cap du primaire. »

 » Au collège, c’était plus facile pour moi parce que là-bas, les professeurs dictent les cours. Et ce sont seulement les mots difficiles qui sont écrits au tableau. En classe de sixième, je partageais le banc avec une cousine qui connaissait mon problème, donc je copiais sur elle facilement. Et comme j’avais de bonnes notes, les professeurs m’aidaient à me mettre à jour en me laissant leur fiches ».

« La plus grande difficulté pour moi ? C’est le fait de porter des lunettes mais de ne pas être capable de voir normalement. Les lunettes devraient en réalité m’aider, je ne dirais pas qu’ils ne servent à rien mais ils ne me permettent pas de lire comme je voudrais, il ne me permettent pas de voir à la bonne distance et ça pour moi reste la plus grande difficulté dans ma vie de tous les jours « .

« En tant que personne atteinte d’albinisme, je sais que mon parcours est différent « 

« Oui je me suis déjà sentie en danger et je ne l’avais pas senti venir. « 

« Je suis quelqu’un qui aime beaucoup prendre des risques, je n’aime pas me fixer des limites, j’aime oser. « 

« J’ai failli me faire couper les cheveux par un membre de ma propre famille à cause des croyances africaines, comme quoi les cheveux, les membres et les parties intimes des personnes albinos permettent de s’enrichir. A cause de ce genre de croyances populaires, les personnes albinos sont en danger permanent « .

« Dieu merci j’ai été vigilante ce jour-là mais je peux dire que l’ai échappé belle ».

 » En général les enfants ont toujours peur quand ils voient une personne albinos. Ils pleurent, parfois ils se cachent.

 » Nous rencontrons tous types de personnes, il y a ceux qui trouvent que je suis belle et il y en d’autres qui dès qu’elles me voient, crachent à coté de moi parce qu’ils ne veulent pas d’enfant qui me ressemble et cela chasse le mauvais sort.

 » Et puis il y a ceux qui n’hésitent pas à te manquer de respect, ils t’insultent et parlent mal de toi sans honte ni gêne. »

« En tant que personne atteinte d’albinisme, je sais que mon parcours est différent. L’albinisme, c’est bien plus qu’une simple différence physique. C’est une condition qui impacte profondément mon quotidien. « 

 » Lire, écrire, reconnaître les visages…Des actions banales pour beaucoup d’entre vous, sont pour moi de véritables défis. Imaginez un monde où vous ne pouvez pas reconnaître vos proches, juste entendre leur voix. Un monde où chaque texte est un puzzle à résoudre. C’est ça mon quotidien mais malgré ces difficultés, je suis déterminée à vivre pleinement. »

J’ai eu la chance unique de réaliser mon rêve : présenter un élément au journal télévisé. Cette expérience est aujourd’hui un tournant décisif dans ma vie. « 

 » La journée du 3 décembre 2024 restera à jamais gravée dans ma mémoire.

Mais je dois avouer que j’avais trop d’appréhensions toute la journée je me posais des questions, si j’y arriverais ou pas, j’avais peur, j’étais stressée et je me demandais si j’allais bien pouvoir le faire. »

 » C’est quand Alassane Drabo m’a remis les fiches et m’a montré comment je devais faire, que j’ai commencé à prendre confiance. J’ai commencé à me sentir mieux, et je me disais que ce n’était pas si difficile en réalité.

« Je me motivais en me disant que c’est une occasion unique qui m’est donnée de réaliser mon rêve et que je devais la saisir et montrer aux gens que c’est mon rêve, c’est ce que je veux. C’est comme ça que j’ai fait la présentation et ça a donné le résultat que ça a donné ».

journalisme. »

 » Très sincèrement, après être passée sur le plateau de NCI avec Alassane Drabo, j’ai regardé les différents commentaires sur les différentes pages Facebook où la photo a été publiée et j’ai envie de suivre des cours de journalisme. « 

« J’ai envie d’essayer et de voir ce que ça va donner. Mais en tout cas j’ai envie de donner tout ce qu’il y a en moi pour pouvoir réaliser ce rêve-là, parce que je me dis que si j’ai réussi à faire cette performance que beaucoup ont apprécié, malgré que je n’ai jamais fait de formation en journalisme, ça veut dire que si je fais les cours, je serai encore meilleure. »

« Ce passage sur le JT de NCI a fini de me convaincre sur ce que je veux faire réellement, et donc j’ai décidé de m’inscrire en école de journalisme. »

Source : Bbc